Critique de Netotchka Nezvanova par Rodolphe Fichera
Un tres bon roman, bien qu'inachevé.
le 16 août 2017
J’ouvre le bal des critiques sur ce roman si peu lu de Dostoïevski, qui aurait bien pu être son premier roman imposant, qui aurait bien dû être son énième chef d’œuvre, mais le destin en aura décidé autrement. Il fut malheureusement stoppé dans son élan en étant arrêté et envoyé au bagne. C’est donc avec une certaine indulgence qu’il faut aborder la lecture des 300 pages de « Nétotchka Nezvanova», une œuvre inachevée certes, mais une œuvre magnifique et marquante tout de même, sur le thème de l’enfance, de la famille, et de l’art.
On suit l’enfance mouvementée d’une femme aux multiples parents tourmentés et déstabilisants. La première partie est centrée sur la vie avec sa mère biologique et son beau-père, qui est un être touchant. C’est un artiste raté qui se saborde lui-même, gâche tout son potentiel, et entame de son gré une descente aux enfers, laissant de côté sa passion pour le violon, délaissant parfois sa famille. L’art amène de grandes espérances mais aussi malheureusement trop d’exigences. L’héroïne est malgré tout très attachée à son père, et diabolise sa mère, dans une parfaite illustration du complexe d’Œdipe. Les rapports familiaux sont retranscrits avec justesse, notamment cet effort perpétuel et malsain de l’enfant de séduire son parent, comme s’il devait se montrer digne de l’amour de son géniteur, mais également cette compétition et comparaison entre l’amour que l’on porte et que nous porte chaque parent, qui explique la grande fragilité du modèle de la famille nucléaire. Cette fragilité s’exprime avec plus de force, car ici l’enfant est unique, il est jeune, et vulnérable, tandis que les parents sont instables psychologiquement, particulièrement le père, pour lequel la fille est prête à tout.
Dans une deuxième partie, l’héroïne est recueillie par un prince, et côtoie de ce fait une jeune princesse de son âge, qui est son opposé. Opposé de milieu social, de richesse, de chance familiale, le choc est total. C’est alors que l’auteur peut évoquer la jalousie, qui est bilatérale entre les deux jeunes filles. Leur relation est palpitante, et finalement pas si différente que ce qu’a connu l’héroïne auparavant, en ce sens qu’elle est déstabilisante, par une communication aux messages contradictoires, tantôt positif, tantôt négatif, tantôt de l’indifférence et du rejet, tantôt de l’intérêt ou de l’affection. La vie de l’héroïne ne peut que la mener, si jeune soit elle, à une dépression chronique dû à cette communication malsaine qu’elle a pu connaître, et à son désœuvrement d’orpheline. Malgré tout, l’Amour est omniprésent dans ce roman, mais l’on s’aperçoit que cette affection est souvent mal communiquée entre des êtres torturés. Ce qui est vraiment tragique, c’est que ce sont les circonstances défavorables de la vie qui créent cette incommunicabilité de l’Amour d’une manière sereine et bienveillante.
La dernière partie du roman est pour moi à relativiser, car je la trouve très en deçà du niveau exceptionnel des deux autres. On imagine aisément qu’elle a pu être écrit dans la hâte et la précipitation, et donc bâclé. L’héroïne se trouve dans une nouvelle famille, avec deux nouveaux parents, avec toujours des relations déstabilisantes avec ses parents. Alors qu’à ce moment, le roman tourne en rond et n’apporte rien de nouveau, il s’emballe avec la potentielle révélation d’un secret qui aura peut-être entraîné le passage à l’âge adulte de l’héroïne. S’il on entraperçoit ce secret, le récit s’arrête brutalement au milieu d’un dialogue sans que l’on ait réellement saisi l’enjeu de ce secret. C’est à la fois frustrant, mais touchant, et révélateur du projet initial de Dostoïevski qui avait l’intention de continuer encore longtemps de retracer la vie de cette jeune femme, peut-même jusqu’à sa mort, où l’on aurait pu voir l’influence de son enfance sur sa vie adulte.
On ressort frustré de ne pas avoir pu profiter de l'intégralité de ce chef d'oeuvre, mais impressionné qu'un auteur puisse toucher du doigt autant de thématiques indicibles avec juste un début de roman, juste un début de vie. Un chef d'oeuvre inachevé que les circonstances ont empêché d'aboutir, et qui se doit d'après moi d'être moi d'être lu par quiconque s'intéresse de très près à Dostoïevski, car il n'y a pas que ces romans célèbres qui méritent d'être lus, un peu d'ouverture d'esprit ne ferait pas de mal à certains.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Classement Dostoïevski annoté au fil des lectures et Les meilleurs livres de Fédor Dostoïevski
Créée
le 30 juin 2018
Critique lue 547 fois
7 j'aime
D'autres avis sur Netotchka Nezvanova
Un tres bon roman, bien qu'inachevé.
le 16 août 2017
Du même critique
Bonjour à tous ! Ici TheStalker et aujourd'hui j'ai déterré pour vous un sujet qui nous concerne tous, ô sens critiqueurs et internautes de tout horizons : Nous allons parler d'un des plus...
Par
le 21 mai 2014
41 j'aime
10
Ouahh !! Que dire ? Si ce n'est que je viens tout juste de vivre ma plus belle expérience dans une salle obscure. Le jour des mes 16 ans, j'ai eu la chance de contempler la petite merveille du...
Par
le 22 mars 2014
34 j'aime
5
Les plans inauguraux du "Vent nous emportera" incarnent l'idée d’un corps mouvant, pénétrant dans un cadre immobile. De majestueux panoramiques balayent lentement ce paysage silencieux grandiose,...
Par
le 27 juin 2014
27 j'aime
3