Je me souviens très bien, la première fois, entre 90 et 95, je l'ai lu en Anglais. C'était une erreur : je n'y ai à peu près rien compris - sinon de très très loin. Très captivé par ce que j'en avais perçu de la trame, d'une violence certaine dans l'écriture, la délinquance et sa dérive, la matrice, les virus, tout ça. Ca appelait une relecture. Chose faite (oct. 2010). En Français.
La force du cyberpunk à son origine - on est loin du "Matrix" des Watchkowsky et de ses univers post-modernes tartinés de Derrida et Baudrillard. Ca sent les drogues multiples, le refus de l'ordre, le crime, la loose.
L'écriture est violente, pour les personnages comme pour le lecteur. Rien de trop gore (même OS Card fait pire). Mais ça sent les organes, la rouille et les marges. Et le style très travaillé de Gibson flirte avec d'incessants mots-valises, raccourcis, syntaxe et lexique des rasta. Je conçois que ça puisse paraître pénible à lire, mais cela fait partie de l'effort de dépaysement : sauf à preuve du contraire, tu ne fais pas partie, lecteur râleur, lecteuse joueuse, du monde qui est décrit dans le bouquin. Les personnages y vivent en équilibre sur les courants de leur dérive, marginaux, petites frappes délinquantes et suicidaires.
Le tout est fort bien ficelé, à la Gibson. On ne connaît pas les intentions des puissants avant longtemps, et l'on reste charrié dans un courant d'impossibles avec le personnage principal, aussi paumé que la nana d'"Identification des schéma" ("Pattern matching") était friquée, et soumise elle aussi à des courants d'information dans lesquels elle se laisse happer - mais la comparaison s'arrête là, "Pattern matching" est un roman anecdotique.
Et puis les concepts sont d'une modernité telle que ce bouquin, écrit en 1980 et des brouettes, aurait pu l'être en 2010, à quelque détails et encore - piratage de l'information, matrice, virus, cybersphère, reprogrammation neurale, etc.
Tout ça mérite largement tant l'effort à le lire que ses Locus, Hugo et autres K. Dick. A dévorer.