«Regarde, voici le repaire de la tarentule !»

Chaque lecteur de Nietzsche est différent. Il y a autant d’interprétation de sa pensée que d’individus. D’où l’aspect saugrenu de se réclamer nietzschéen.


Rochedy est un réactionnaire anti-moderne qui livre une lecture actuelle de la pensée de son philosophe fétiche dans ce double ouvrage. Nietzsche l’actuel se veut être une lecture contemporaine de l’allemand pour combattre la moraline ultra-présente sur la scène médiatique et dans l’esprit du troupeau, des masses et des esclaves. Dans des chapitres - un peu trop courts - il égrène la vie de Nietzsche et la construction de son œuvre en cohérence avec sa vie réelle dans un exercice entre la présentation de la pensée philosophique et la biographie. N’ayant jamais lu une biographie de Nietzsche, je trouve cette partie plutôt intéressante. Même si Rochedy insère un peu trop sa critique de la société contemporaine pour montrer le contraste entre notre organisation du monde et l’idéal nietzschéen, qui sont, il est vrai, en totale opposition. Le style n’est pas flamboyant - même parfois franchement proche d’un style journalistique - mais on peut lui attribuer le mérite de ne pas être pompier et ampoulé et de ne pas lasser le lecteur par des mots rares. La lecture est très rapide, ça déroule bien. Assurément, un livre à recommander pour quelqu’un qui n’a pas l’habitude de lire. En cela, l’introduction à la philosophie nietzschéenne est parfaitement réussie. Cela dit, c’est bien ici qu’est l’os. Le livre n’apprendra pas grand chose à des lecteurs véritables de Nietzsche, ceux n’ayant pas attendu qu’il soit à la mode pour le lire. Il semble néanmoins de bon aloi d’accorder que l’exposition des grands principes de cette philosophie est exhaustive et au-delà des mantra devenus poncifs comme la Mort de Dieu, le Surhomme et l’Eternel Retour, ce qui est toujours appréciable. Amateur de Nietzsche, je commence à me lasser des incessantes analyses sur sa vision du surhomme et de la volonté de puissance, l’envie de Rochedy de discuter d’autres choses est donc appréciable. En cela, la deuxième partie - le recyclage de son mémoire d'étudiant - est rafraîchissante, car il décortique la vision des nations européennes de Nietzsche tout en comparant l'idéal européen du philosophe et de l'Union européenne que nous connaissons.
N’omettons pas qu’il n’ose pas aller au bout de critique de la modernité par la lecture nietzschéenne de la société et donc d’embrasser totalement les idéaux aristocratiques que Nietzsche aurait apprécié selon Rochedy. Car oui ! Rochedy nous dit bien que l’allemand était un fervent admirateur du Grand Siècle français - ce qui est vrai - et un grand critique des lumières issues de la pensée anglaise. Cependant, il était aussi admirateur de Voltaire (grand anglolâtre) qu’ennemi de Rousseau donc comme toujours les choses semblent plus complexes et paradoxales que le montre Rochedy. Il n’explique pas assez la critique de Nietzsche de l’idéal rousseauiste qui est assez fondamentale pour dresser une lecture contemporaine de son œuvre, à mon avis. Pour se faire l’avocat de cette société aristocratique, il faut démonter les idées de Rousseau, car le Suisse est bien un grand artisan du ressentiment qui poussa la France à la révolte, changeant la face de l’Europe.


Ceux qui cherchent des réponses dans Nietzsche, qui le pensent comme un coach en développement personnel seront bien déçus par le livre de Rochedy - et l’oeuvre de Nietzsche plus généralement - tant celui-ci ne donne pas de véritables solutions au nihilisme. Les nationalistes appréciant Rochedy pour ses anciennes implications au R.N seront aussi déçus car celui-ci est loin d’occulter l’hostilité de Nietzsche à l’idée nationaliste ainsi que son envie d’une Europe unifiée. La lecture de la critique du christianisme est intéressante, assez pertinente sur nombre de points, la réflexion sur le dualisme et son incompatibilité avec l’exaltation de la vie est la même que celle j’ai moi-même dressé lors de ma lecture de Nietzsche. Le principal reproche que je fais à Rochedy sur sa lecture du philosophe est sa tentative de faire passer Nietzsche pour un anti-moderne. Je pense que c’est faux, en soit. À mon sens, dans un genre quasiment stoïcien, Nietzsche n’avait aucune envie réactionnaire, il voulait prendre acte de la modernité, demander à ses lecteurs - ses ouailles - de le suivre sur le chemin du surhumain pour se frayer un chemin dans la modernité - ou la post-modernité au bout d’un moment, quelle importance ? L’avancement du nihilisme généralisé n’a pas d’impact sur un homme rejetant le ressentiment selon les préceptes de Nietzsche, dès lors que la modernité acte la société des masses et des esclaves, il est logique de voir cette société aller de plus en plus vers la massification de l’excellence et donc l'éradication pure et simple de cette dernière par la chimère de l'égalité. L’homme voulant tendre à plus que l’hédonisme bête, quasiment bouddhiste, du refus de la douleur, sera aussi bien contre le marxisme et sa fantasmagorique société d’après la dictature du prolétariat avec ses lendemains qui chantent que contre le wokisme et sa société des lendemains qui chantent une fois la déconstruction parachevée. Rochedy tente de nous dresser une hiérarchie dans les mouvements politiques imbibés de moraline et je trouve que cette analyse manque de finesse. Le wokisme, le socialisme, le nationalisme, le communisme sont tous de la même souche, la galvanisation des foules revanchardes.


En somme, une bonne introduction à la philosophie nietzschéenne mais cette lecture ne sera pas suffisante pour discuter avec un véritable lecteur du philosophe tant cette dernière est complexe, paradoxale et alambiquée dans bien des aspects. Un bon livre pour un néophyte qui pourra remplir sa besace de références pour approfondir le sujet. Rochedy donne aussi un conseil salutaire à un futur lecteur de Nietzsche : Lisez Ainsi parlait Zarathoustra en dernier !

Figoluu
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le 14 juin 2021

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