La colonisation russe de l'Amérique, une suite de rendez-vous manqués

En 1867, le tsar Alexandre II vend aux États-Unis du président Andrew Johnson un immense territoire correspondant à l'actuel état de l'Alaska. Ainsi prend fin la tentative de colonisation russe en Amérique du Nord entamée un siècle plus tôt, à la suite des explorations de Vitus Béring dans ces régions sauvages et reculées.


L'idée d'expéditions et de colonies russes dans les actuels état d'Oregon, de Californie, ou même à Hawaï, peut aujourd'hui paraître farfelue, tant ce chapitre de l'histoire est tombé dans l'oubli. Le nombre de livres en français abordant la question est famélique. Par mes lectures sur la Sibérie, j'avais déjà eu vent de l'Amérique russe, mais sans jamais avoir eu l'occasion d'approfondir le sujet. Cet ouvrage est centré sur l'une des figures principales de cette étonnante aventure : Nikolaï Rezanov.


La vie et l'oeuvre de cet aristocrate et homme politique né en 1764 peut être grossièrement découpée en trois grandes parties. La première période est ce que l'on pourrait qualifier d'années d'apprentissage, à la Cour de Saint-Pétersbourg et dans l'administration impériale, jusqu'à sa nomination à la tête de la Compagnie russe d'Amérique. La deuxième période correspond au tour du monde, le premier effectué par des Russes, à bord de la "Nadejda" : au Brésil, en Polynésie, à Hawaï, et enfin au Japon où l'ambassadeur Rezanov, chargé d'y nouer des relations commerciales, se heurte à l'immobilisme de la dynastie des Tokugawa. La troisième et dernière étape, enfin, l'amène à se préoccuper plus précisément du développement des colonies d'Amérique alors à l'état embryonnaire, le poussant jusqu'en Californie, possession espagnole du bout du monde n'abritant que quelques centaines d'âmes.


Le journaliste anglais Owen Matthews nous livre une étude sérieuse sur les événements méconnus de cette période, jusqu'à la mort de Rezanov en 1807. Le récit peine un peu à démarrer, l'auteur prenant le temps de revenir en détail sur des aspects indirectement liés à l'Amérique russe, tels que la conquête de la Sibérie par les cosaques ou le fonctionnement de la Cour de Catherine II. Si je ne pense pas avoir appris grand-chose dans ces premiers chapitres, ceux-ci sont néanmoins nécessaires, ne serait-ce qu'afin de planter le décor pour les lecteurs connaissant peu l'histoire de la Russie. En revanche la suite, à partir du départ de Rezanov de Saint-Pétersbourg, est passionnante. Tout au long de sa lecture, l'amateur d'uchronie ne pourra s'empêcher de se demander le tour qu'aurait pu prendre l'histoire si... et si... Car cette colonisation russe de l'Amérique s'apparente à une suite ininterrompue de rendez-vous manqués. Par d'incroyables malchances, d'inexcusables maladresses ou de terribles incompétences, les projets grandioses de Rezanov ne se concrétiseront jamais : il meurt prématurément, à l'âge de quarante-deux ans, sans avoir pu aller jusqu'au bout de son "rêve d'une Amérique russe". On ne verra jamais l'empire des tsars s'étendre sur tout le Pacifique, ou San Francisco et Los Angeles devenir des sœurs de Saint-Pétersbourg et de Moscou... Mais quelle formidable aventure malgré tout !


Au chapitre des regrets, il est dommage que l'histoire de Fort Ross, le plus méridional des établissements russes en Amérique (tout près de San Francisco), ou l'éphémère tentative de colonisation d'Hawaï, autant d'épisodes de toute évidence passionnants, ne soient qu'évoqués dans l'épilogue... Mais le livre étant centré sur le personnage de Rezanov, il n'a pas la prétention d'aborder tous les aspects de l'Amérique russe. Il s'agit dans tous les cas d'une très bonne porte d'accès à un sujet historique aussi méconnu que fascinant.

Oliboile
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le 2 sept. 2017

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