Incontournable Mars 2023


Ce sympathique petit roman nous vient de la même autrice qui a élaboré le tout aussi charmant "Roselionne", membre de la même collection "Bilbo". Tout comme son grand frère, "Noah-pas-le-droit" propose un sujet actuel: Le clivage de genre, très lié au maketing de genre qui sévit depuis les années 50, quand les entreprises ont comprit qu'on pouvait faire deux fois plus d'argent en divisant les produits par genre et hausser les prix des produits dits "Roses"( voir la BD jeunesse Consommation: Le guide de l'anti-manipulation).



Noah est un garçon qui adore le soccer (Football pour nos amis européens), aime avoir les cheveux longs et a une grande complicité avec son oncle Rémi. Quand ce dernier arrive un beau jour avec des boîtes de jeu remplies de jouets pour sa future petite sœur, Noah jubile: Il y a dans ces boîtes une poupée Aventurine! C'est la "magicienne la plus puissante du monde, celle avec laquelle [il] veut toujours jouer quand [il] va chez son oncle, celle qui peut arrêter des tornades et soulever les mers pour sauver les personnes en danger, se trouve devant moi". Oui, l'engouement pour cette figure féminine héroïque est fort chez Noah, mais comme son oncle qualifie Aventurine de "jouet pour fille", elle se retrouve donc au sous-sol avec les autres, en attente de la petite fille qui va en bénéficier. Dès lors, Noah se met à tout observer autours de lui et à juger. Pour lui, s'il n'a pas le droit de vouloir des choses de filles, les autres n'y ont pas plus le droit. Ainsi, Liam, son meilleur ami, n'a pas le droit de mettre des vernis colorés sur ses ongles. Jeanine n'a pas le droit d'être une championne sportive, ce doit être en réalité un garçon déguisé en fille! Bientôt, Noah reproche à tous les autres enfants leurs choix et leurs comportements, ce qui ne plait pas du tout à ces derniers et à son professeur.



En réalité, Noah est en réaction et cultive un profond sentiment d'injustice, ce qui lui fait penser que s'il ne peut tendre vers certains objets du fait de don genre, les autres n'y ont pas plus le droit. C'est hélas un enjeu encore très réel et qui trouve racine dans les constructions sociales genrées différenciées. On a divisé les produits par genre: des poupées, des cuisinettes et du rose pour les filles, du bleu, du matériel de sport et des camions pour les gars. Il n'y a cependant rien de scientifique là-dedans, ce sont des constructions subjectives qui ont pour but de contraindre les enfants à correspondent à leur genre et donc, de consommer en conséquence. On peut penser aux produits corporels aussi, comme les désodorisants "conçu pour les gars", ce qui est absurde vu le fait que les humains ont le même corps à quelques détails près. Bref, ce clivage de genre sévir encore, même en littérature jeunesse. J'ai encore des parents qui refusent les couvertures roses, les personnages principaux féminins et certains thèmes, comme le Drag, la danse ou la cuisine, sous prétexte que "mon garçon est un vrai garçon qui s'identifie uniquement aux personnages garçons". Aïe. Je remarque que l'inverse est beaucoup moins rependu, cependant. On retreint beaucoup moins les filles au sujet des clichés en librairie, il me semble, mais relativisons: Une fille qui tend vers "le masculin", c'est bien vu, mais un garçon qui tend vers le "féminin", c'est soit un garçon gay, soit un garçon pas "viril". Double aïe. On est pas sortis du bois sur le sujet des stéréotypes de genre et du clivage de genre.


Mais il n'existe pas seulement des problèmes lié au genre en raison du marketing de genre. Il y a aussi les concepts erronés de "Féminité" vs "virilité. Le problème est que ces deux concepts sont extrêmement restrictifs et irréalistes. Quand on parle de virilité, on entend: dévalorisation des émotions ( sauf la colère, légitimée et même encouragée) , brutalité encouragée, musculation encouragée, sports sur-valorisée, domination verbale et comportementale encouragée, etc. Pour la féminité, on parle du contraire, on admet la fragilité des femmes, leur tendance à la faiblesse mentale et physique, à leur hypersensibilité, à leur discrétion et leur modestie "naturelle", à leur tendresse et leur douceur, etc. Ce sont des concepts construits, nullement scientifiques, purement sociaux, en plus d'être très peu inclusifs. On refuse toute idée de centre dans ces concepts et on case les enfants dans d'infâmes stéréotypes aussi mauvais pour leur identité que leur développement. Bref, on a intérêt à parler "des" féminités et des "masculinités", de la façon des enfants d'être divers, uniques et authentiques.



Dans l'univers de Noah, il y a pleins de personnages qui naviguent "entre deux". Son père qui est éducateur à la petite enfance et pratique le ballet classique; Jeanine qui remporte les honneurs en sport, même contre les gars; Liam qui aime le vernis à ongle ; Naïla qui aime les dinosaures. Ce sont généralement des intérêts ou des goûts, mais on pourra parler aussi des comportements et habileté. Par exemple, c'est le papa de Noah qui est intuitif et paternel, plutôt que la mère. C'est lui qui va investiguer le ressenti de son garçon, alors que dans la culture, c'est pratiquement toujours la mère.


J'attire votre attention sur l'idée de "Modèle". Les enfants ne naissent pas avec des préjugés et des idées discriminatoires, elles leur sont inculquées par les adultes. Il est donc impératif que le changement concerne les adultes. Noah s'est retrouvé dans cette situation parce qu'il faisait confiance au jugement de son oncle, qui, sans vouloir malfaire, a laisser entendre que les jouets ont des genres. Nous avons inconsciemment des biais concernant les genres, comme quand on propose d’emblée un livre à un jeune en faisant concorder le genre du personnage à celui du lecteur. Nous avons aussi tendance à genrer les vêtements, les jeux, les activités et même les émotions. Nous sommes des modèles pour nos jeunes et plus notre relation avec eux est étoffée, plus ils tiendront compte de notre avis. Nos jeunes ne sont pas stupides et ils observent autant nos paroles que nos comportements. Noah a pu compter sur l’intervention de son père et de son professeur pour contrebalancer l'avis de son oncle, et c'est une chance, car ces deux personnages ont miser sur l'absurdité de tout diviser. Ils sont su extrapoler sur le sujet, mais surtout de tenir compte des propose de l'enfant. En claire, quand on traite d'enjeux comme le clivage de genre, il importe de faire participer les jeunes , de tabler sur leur ressenti et leurs perceptions.


Enfin, je remarque la présence de l'anxiété de Noah. Ce mot revient de plus en plus, et avec raison, car nous avons tous une part anxieuse. Elle est impliquée quand il y a anticipation et somatisation du stress. Noah en parle à plusieurs reprise de cette impression d'étouffer, d'avoir les pieds en pierre et de mal dormir. Il fait même un cauchemar au sujet des "contraventions" que reçoivent les autres jeunes pour avoir déroger aux règles strictes liées aux genres. Noah est clairement malheureux de cette situation et si elle semble puérile aux yeux adultes, rappelons-nous qu'à leur échelle de jeunes humains, ils peuvent néanmoins ressentir les émotions et le stress proportionnellement à leur jeune âge. En somme, ce ressenti est "grave" à leur niveau. Il ne faut donc pas banaliser les émotions des jeunes et dans l'histoire, c'est ce que nous avons: des adultes concernés et investis. Aussi, avoir des goûts et des intérêts X ou Y ne devrait jamais être source d'anxiété, au contraire, ce sont des facteurs contributif au développement de l'estime de soi et de l'identité des enfants, c'est donc primordial qu'ils/elles puissent les assumer sans stress et sans jugement. Autrement, ça fera des adultes insécures, mal dans leur peau et cultivant un sentiment d'infériorité, puisqu'ils ne sont pas validés dans leur unicité. Si, si, c'est très important!



Bref, j'adore ce petit livre. Porte ouverte sur l'enjeu du clivage de genre, c,est aussi une ode au respect de la diversité. Il fera se poser de bonnes questions tout en offrant une bonne histoire. Le tout est amené avec de bons exemples et traité avec une bonne dose de rigueur. Il y a en outre de petites illustrations ça et là. À mettre autant dans les maisons que les écoles et les bibliothèques. J'aimerais beaucoup entendre ce qui va ressortir de cette lecture de la part des jeunes lecteurs, ce sera très intéressant.


Pour un lectorat du second cycle primaire, 8-9 ans +.



Créée

le 27 févr. 2023

Modifiée

le 27 févr. 2023

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Shaynning

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