Dans le numéro 151 du Cosy Corner, Medoc et Moguri font pour la première fois une ouverture de podcast sur un sujet assez grave, à savoir la mort de Suzuka Asaoka. Au travers de plus de 150 numéros les deux compères ont bien évidement évoqué à plusieurs reprises leurs vies passée à Nolife, le devenir des anciennes gloires de la chaîne et se sont remémoré quelques bons souvenirs mais ici c'est la réalité qui nous revient en pleine poire. Nolife c'était des gens. Et le temps passe.


Je ne vais pas faire l'ancien, j'ai eu Nolife sur le tard. A l'époque c'était uniquement le satellite et mon expérience la plus geek c'était soit MCM qui diffusait One Piece soit Canal J et le goat Bertrand Amar. Outre le béguin que j'avais pour lui dans sa combi de garagiste, ses blagues rincées et une 3d spectaculaire, c'était l'occasion de voir des jeux vidéos à la télé. Des cheatcodes, des tests et des news. Oui les forums étaient à leur âge d'or et jv.com pas encore un repaire à fafs mais le fait que ce soit à la télé, quand on est gamin des années 90, c'est une sorte de reconnaissance ultime de sa passion.

Alors quand vers 2009-2010 je m'installe avec ma première box ADSL je suis bien évidemment curieux de ce que peuvent proposer les bouquets TV bien trop cher pour une offre de programmes très peu qualitatifs mais youtube n'était pas encore ce qu'il est maintenant, netflix n'était pas dans le dictionnaire.


Nolife, un nom qui fait si peu rêver, mis à part lae geek, qui se cachait dans la cour de récré pour jouer aux cartes Yu-Gi-Oh, qui se plantait devant la télé le mercredi matin (et tout les autres de la semaine), celui ou celle qui finissaient le moindre jeu vidéo acheté par un parent peu regardant, même si il n'y avait pas de carte mémoire. Nolife c'est une chaîne qui reconnaissait les passionné.es dans tout ce qu'iels avaient de bizarre, de jusqu’au-boutiste. Des gueules cassées, des timides qui ne savent pas quoi faire de leur bras à l'écran, des gars qui te parlent idol pendant des heures et des meufs qui ont des t-shirts de chaque groupe de visual kei existants. Parce que Nolife c'était tout un pan du Japon qui m'était inconnu. Plus modernité que tradition mais c'était aussi bien des tests de rpg que des moments de still life dans les rues d'Osaka.


Et pourtant Nolife, malgré tout les efforts du monde, c'est aussi une chaîne qui a toujours vécu dans l'ombre de sa propre disparition. Un Titanic qu'on aurait attaché à l'iceberg dès son démarrage et qui aura tout fait pour se sortir la tête de l'eau. Un Titanic bien particulier puisque si l'on devait continuer la métaphore, le capitaine vous ferait des annonces chaque semaine pour dire que la catastrophe est imminente, que chaque personne qui a un seau peut retirer autant d'eau qu'iel le souhaite mais que cette fois-ci c'est surement la der des der. Sur les 8 ans de la chaîne, c'est presque autant d'anniversaires teintés de tristesse, la fierté d'avoir survécu mais un public qui à force ne croît plus aux alertes autant qu'aux bonnes nouvelles.


En cela Nolife Story n'apprendra rien aux vrai.es fans car la descente aux enfers (encore faut-il pouvoir parler de remontée de pente derrière) a été largement documenté, une émission y était dédiée, les coulisses faisaient partis de l'adn du projet. Et justement, Nolife Story est un coulisse de coulisses, le making of meta qui nous montre l'envers du plateau de tournage. On y trouvera donc pelleté de détails et anecdotes croustillantes, surtout dans les premiers chapitres pour ensuite plus revenir sur de la description de programmes et de l'énonciation d'évènements. Le ton alterne entre positivisme solaire et fatalisme funeste, entre des coups de chance incroyables et un sort qui s'acharne à ce que jamais Alex et Seb ne vivent sereins. Pour sur, le duo n'est pas totalement extérieur à tout ses malheurs puisque leur entreprise se bâtit sur un rêve certes, mais un rêve impossible. Une chaîne sans pub, sans argent, sans rien. Un drame de son temps puisque Nolife arrive avant le financement participatif, avant le gros internet des années 2010 et surtout avant twitch.


Retour en 2024 ou plutôt 2023 quand Moguri crée avec 4 autres journalistes jv Origami, une chaîne Twitch qui a cette volonté, qu'on commence à bien connaître, de parler du jeu vidéo bien, longuement, passionnément, sérieusement, différemment. Financé via une campagne de crownfunding, qui a dépassée les attentes, le projet tient encore aujourd'hui la route et vient compléter un bel arc narratif pour le Role Playing Gang qui avait connu une seconde vie via un simple podcast Soundcloud. Et je pense sincèrement qu'avec 20 ans de décalages, la formule aurait été ultime pour Seb et Alex : proposer des programmes divers et variés à un public de connoisseureuses, sans les contraintes de la télé, sans l'enrobage de la télé même si hey, on va pas se mentir, Twitch c'est la télé qui ne veut pas dire qu'elle fait de la télé.


Bref Nolife Story décrit donc la plus belle et la plus triste des histoires télévisuelles et pourtant si incomplète. En effet le livre sort en 2012 soit à la moitié de la vie de la chaîne, il se permet donc un ultime chapitre plein d'espoir puisque la pub et le streaming débarque à peine et que l'horizon semble lumineux. On connaît pourtant la suite, un bilan économique désastreux chaque année, Sebastien Ruchet qui nous annonce la mine penaude que c'est encore pas tout à fait la fin, rire, pleures, joie, tristesse. Une magnifique aventure qui trouvera une vraie fin qu'un livre sorti précipitamment ne pouvait donc pas documenter et qui nécessiterait peut-être une mise à jour. Parce que l'histoire de Nolife est passionnante et ce premier livre le prouve bien, Florent Gorges habitué à décortiquer l'histoire des consoles disparues traite ici d'une chaîne de télévision absolument unique qui aura bravé toute les tempêtes pour proposer une variété de programmes incroyables. Je me surprenais vraiment à l'époque à rester regarder des superplays (bien avant que ce soit à la mode), des classements de j-pop et bien entendu des heures de programme sur les rpg. Nolife réunissait des personnalités si différentes. Et si je trouve personnellement que beaucoup de programmes en voulant être authentiques et différent du petits écran ont pu perdre en "qualité" et "sex appeal" je dois bien avouer que mon groupe de cœur le Role Playing Gang a su faire si le manque de moyen et la liberté de ton. Avoir une émission entière dédiée à Mass Effect qui alternent sketch sur fond vert bourré de private joke avec un test hautement pertinent c'est tout ce que j’espérais. Parce que l'humour quand il fonctionne avec une culture encyclopédique peut vraiment convertir des gens.


Le livre évoque par moment les critiques, les haters. Alors on se doute bien qu'avec un auteur ayant travaillé pour la chaîne au moment des faits et des interviews exclusivement de ses collaborateurices le propos va être très orienté mais le sujet a au moins le mérite d'être évoqué. Encore une fois je pense que la qualité des contenus est très inhérente aux présentateurices et que même en défendant une ligne éditoriale on peut bien admettre qu'un contenu si différent peut ne pas plaire à tout le monde, quand bien même on adorerait le sujet traité. L'absence de moyen a toujours pu faire défaut à des créateurices de contenus et on voit bien maintenant comment le fait d'avoir un compte instagram ou youtube n'est pas la seule clé du succès. Internet reproduit les codes marketing des médias et la promesse d'une célébrité accessibles à toustes si on se remonte les manches ne fait pas tout. La chance et l'argent c'est pas mal aussi. Hélas Nolife en fera toujours défaut, quand bien même Ankama les ont laaaaargement aidés et que le public a beaucoup donné de sa personne. Et c'est probablement ce qui rend l'équipe de Nolife d'autant plus attachante, qu'on s'y reconnaît encore mieux. Ce radeau de la méduse gigantesque, les laissés pour compte, lae geek sous toute ses facettes, charmeur, boutonneuse, drôle, timide, qui manque de chance mais pas d'envie. On signalera juste l'anecdote sur Davy Mourier qui montre ses parties génitales en entretien... bon.


Un livre imparfait mais passionné tout comme Classé 18+, le J-top, Karaté Boy. Sorti 5 ans trop tôt pour un projet sorti 15 ans trop tôt. Et que reste-t-il alors ? Il y a bien des chaînes youtubes qui ont archivés ce que Noco aura emporté avec lui, Marcus est passé à Twitch parce que c'était finalement lui qui avait inventé le concept, Caro fait des reviews de hentai sur Twitch (seul sujet vraiment prohibé sur Nolife), Medoc anime le jour de play sur Twitch etc etc.

La fin d'une époque, celle de la télé, indubitablement, pour peut-être encore plus de liberté. Les geeks et otakus sont devenu•es hypes. Du moins tant que leur culture s'exporte en anime blockbuster sur Netflix, que les jeux vidéos sont adaptés en séries Amazon ou que les voyages au Japon ne se font pas qu'à Shibuya. Lae geek par nature et parce que la société n'a dans le fond pas tant changé malgré l'omniprésence des écrans restera toujours en marge, on peut seulement juste davantage se réunir, partager nos passions, les diffuser à une audience avide de contenu.


Nolife s'en est allé, Suzuka aussi, d'autres plus tard, mais le souvenir du générique de 101% lui, comme celui du club de Dorothée avant lui ou celui du Joueur du Grenier encore maintenant continuera à nous hanter.

Kaptain-Kharma
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