Incontournable Août 2024



Nouvelle série par l'autrice qui nous a servi la sympathique série "Charlotte qui zozote", cette fois nous ne sommes par à un indice du Fantastique, nous sommes dans le monde de l'espionnage - même si le thème reste ambiguë au cours du tome 1.



Norbert Saint-Juste aimerait sans doute être un jeune garçon un peu plus "normal", car il est désormais orphelin de ses deux parents. Il vit maintenant avec son grand frère Gaspard et il a toujours sa grand-maman, sa "grann" prénommée Victoria et est originaire d'Haïti. Cette dernière a récemment eu un accident et lorsque ses deux petits-fils lui rendent visite, sont un peu désarçonnés par ses propos quand elle affirme être en danger et qu'on lui a volé son petit cochon. Norbert se fait confier à l'insu de son aîné une enveloppe par sa grann, qui lui demande de faire parvenir le message ( une façon plutôt floue de le formuler, il me semble). Mais le jeune agrçon a déjà bien d'autres soucis en tête, le deuil de sa famille étant l'un des moins faciles, dont l'école, où son imaginaire foisonne et son attention papillonne, une façon poétique de dire qu'il a un beau TDAH à gérer. Heureusement, il peut compter sur son inséparable binôme, la très audacieuse et éloquente Luna ou "Lalin" ( "Lune" en créole haïtien) de son nom de code. Il en aura bien besoin car l'enveloppe qu'il est parvenu à discrètement poster se retrouvée interceptée par une postière pour le moins louche, qui a jeté ladite enveloppe aux poubelles. Pas de doutes, il y a anguille sous roche!



La série "Go, gadget" a été formaté comme la série "Fanny Cloutier" ou encore celle du "Journal de Marilou" par les éditions Les Malins. Ces livres ont des couvertures rigides et l'intérieur imite un journal intime, avec des dates, de nombreux jeux de couleurs sur la police de caractère et des bordures récurrentes à motifs. Dans le cas spécifique de ce livre, les couleurs de police sont spécifiques aux personnages ( Grann en mauve, Norbert en vert, Luna en rose, etc) et il y a des dessins simples comme on peut en retrouver dans les journaux intimes. Les bordures sont noires avec des motifs qui changent aux journées, et dont le motif a un lien direct avec ce qui se déroule dans cette journée.



Récit narré au "je", je retrouve tout-de-même l'intérêt de l'autrice pour les jolis mots, mais avec un style plus "oral" que dans sa précédente série. Comme nous sommes dans un journal, nous avons un bel axe émotionnel, toujours le bienvenue, spécialement avec les personnages masculins, que j'ai toujours trouvés plus "plats" que les personnages féminins, sans doute parce que dans le cliché de genre dominant, un "gars" s'attarde à l'action, pas aux émotions. J'en profite pour rappeler que c'est une pure construction sociale de genre, car les garçons ont bien sur les mêmes émotions que les filles et ont autant besoin de les exprimer.



Norbert a par ailleurs grand besoin de ventiler ses émotions, d'abord parce qu'il a perdu ses deux parents, ce qui n'est pas un moindre drame, mais aussi parce qu'il éprouve certaines difficultés à l'école. Bien qu'il soit courant maintenant de parler du Trouble déficitaire de l'attention avec ou sans hyperactivité, le TDA/H, je suis règle générale peu impressionnée par les auteurs et autrices qui l'utilise comme trait sans réellement le comprendre. Ici, on sent que l'autrice connait de près cette neurodiversité. Norbert s'attarde souvent sur des détails qui lui semblent importants, mais qui sont hors-contexte ou en pleine heure de classe, ce qui lui cause souvent des embrouilles avec son prof. Son côté imaginatif lui donne surtout l'air lunatique, et sa mémoire court terme lui fait retenir des choses peut-être moins importantes alors qu'il oubli des choses un peu plus essentielles. Norbert peut se faire interpeller à plusieurs reprises qu'il n'entendra pas forcément. De manière générale, on voit de l'intérieur qu'il perçoit le monde de manière atypique et que cela lui fait vivre des émotions désagréables, comme la honte, la culpabilité ou encore la gêne. Ce qui peut sembler être un manque d'effort de sa part est en réalité un traitement et une organisation de l'information différente, d'où le terme "neurodiversité". Norbert a un beau potentiel, cela dit, une grande sensibilité, un sens de la justice et donne de la place à ses émotions.



Je mentionne aussi deux diversités supplémentaires dont fait parti Norbert: la diversité ethnique, parce que s'il a une grand-maman haïtienne, je doute fortement qu'il soit caucasien pur laine, je l'imagine volontaire comme un mélange ethnique, et il semble avoir un corps plus enrobé que la moyenne, il fait donc aussi parti de la diversité corporelle. Un jour, je n'aurai plus à les mentionner, quand nous aurons enfin une réelle richesse de personnages en littérature jeunesse, mais ce n'est pas le cas aujourd'hui, donc voilà.



J'ai observé aussi la qualité des interactions entre Luna et Norbert, un autre bel exemple d'amitié entre genres opposés, et j'ai beaucoup aimé. Il y a des désaccords qui se sont soldés sur des compromis et des excuses. Il y a des partages sincères sur les émotions. Il y a de la solidarité et de la loyauté. Aussi, je remarque que le rôle de "l'entreprenant" dans la dyade ( celui ou celle qui prend le plus d'initiatives et qui s’exprime plus facilement) est Luna. D'habitude, c'est plus souvent le personnage masculin, alors c'est bien pour une fois que ce soit la fille du duo! Et quelle abnégation que de se prendre en pleine tête un ballon pour détourner l'attention, wouah ( ça a du faire mal, ouch).



Pour la petite histoire des noms de codes: Norbert et Luna communique avec un vieux système de communication le soir. "Lalin" pour Luna et Nogo pour Norbert ( inspiré du dragon "Norbert" dans Harry Potter à l'école des sorciers".



Mention aussi à la grand-maman, qui a une personnalité forte, et Gaspard, qui fait son gros possible du haut de ses 19 ans et désormais tuteur de son petit frère.



C'est une histoire relativement courte, avec des scènes de cours d'école, une factrice qui a de drôles de comportements et qui s'ouvre sur un univers d'espionnage bien réel. Le tome 1 est donc plus une mise en contexte qu'une réelle mission.



Il y a une petite énigme à la fin pour découvrir le nom du "méchant" que Norbert va devoir affronter dans le tome 2.



Donc, c'est une nouvelle série sur un thème somme toute rare en littérature jeunesse intermédiaire québécoise, les apprentis-détectives étant beaucoup plus nombreux en comparaison, mais c'est son traitement qui est surtout rafraichissant. J'aime beaucoup la présence du créole haïtien, dont la diaspora haïtienne montréalaise est nombreuse et dont la communauté fait parti du paysage social depuis des décennies. C'est toujours un plaisir de retrouver ce qui fait une des grandes richesse de la métropole que cette diversité d'origines. Je sens que le choix du format "journal coloré" devrait aussi avoir son petit charme auprès du lectorat intermédiaire.



À découvrir.



Pour un lectorat intermédiaire à partir du 2e cycle primaire, 8-9 ans+

Shaynning

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