Récit foutraque
Que cette parole entre dans le jeu qu'elle a préparé, alors, quelle force pour s'imposer!Ces mots qui éclatent de sève, ce jet verbal dont la justesse vous frappe de plein fouet, ce propos soutenu...
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le 9 août 2022
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Pour pouvoir parler de Nord, faut un peu aborder les sujets qui fâchent. Il faut pas que tu t’émeuves outre mesure, je compte pas vraiment égratigner ton fantôme! Je fais pas partie de ces gens qui aiment cracher sur la tombe des mecs, alors qu'ils sont même plus là pour me dire qu'ils s'en foutent, de toute façon, et de toutes les manières possibles; comme c'est à peu près toujours le cas dés qu'il y en a un qui l'ouvre, et l'autre qu'est obligé d'écouter. C'est pas vraiment que je m'en fasse une joie Docteur Destouches, et c'est d'autant plus chiant que je peux même plus vraiment m'adresser à toi en t'appelant Ferdinand... C'est que pour le coup, le Bardamu, il s'est barré là où on l'emmerderait pas; dans les interstices blancs entre les mots, dans la matière qui fait les romans. C'est dommage, je l'aime bien moi Ferdinand. J'aime le fait que malgré les apparences, ils ne soit pas tout à fait toi. Mais c'est peut-être tout pareil avec le Céline du roman qui nous occupe après tout.
Il faut dire que dans celui-ci, t'as un peu décidé de laisser tomber le masque de la fiction pour raconter ta fuite au moment de la libération. Faudrait pas laisser les gens dire n'importe quoi sur toi, et quitte à noircir le portait qu'on pourrait faire de ta personne, tu t'es dis qu'il valait mieux que tu t'en charges toi même. Au moins il y aura toujours quelque chose de bon à en tirer si tu l'écris. Alors que les autres...
Mais avant de raconter tout ça, je dois bien remettre en contexte pour le pauvre lecteur de ce billet vite torché qui débarquerait. Même que tu voudrais, tu pourrais pas trop m'en vouloir, ni critiquer ma prose, vu que ton génie, ta médiocrité, et l'ensemble de ta petite personne à été digéré et chié depuis longtemps par les vers.
Donc voilà, cher lecteur, en 1932, Céline écrit un bouquin assez sensationnel "Voyage au bout de la nuit". Il est d'autant plus sensationnel qu'il est très bien accueilli par la presse, les écrivains,... Le Céline, il s’attend même au Goncourt tellement il est sûr de son coup. Première déception, c'est pas lui qui ramasse le trophée officiel des amateurs de petits mots sur des pages blanches. Il est un peu frustré, mais le flouze rentre, et ça, c'est pas un mal pour un type qu'en avait jamais vu des masses à force de soigner les pauvres. Bref, quelques années plus tard, il sort "Mort à Crédit". Malheureusement, les choses se gâtent, et son bouquin, ils sont qu'une poignée à le défendre, la majorité le trouvant offensant, incompréhensible, voire même dégueulasse. Céline commence à chouiner un peu. Une victime de plus de l'injustice des hommes! C'est étrange qu'un gars qui a écrit les bouquins suscités puisse encore se faire des illusions, mais à l'évidence, ça le touche plus que de raison.
Après ça, Céline utilise son style mordant pour écrire des pamphlets. Lui qui se vantait d'être un styliste et de ne pas avoir d'idée, le voilà à se rouler dans le caca idéologique. Et ça marche! Les livres se vendent bien.
Pourquoi les gens t'en veulent pour ces livres Céline? J'oserais pas dire pour des bagatelles, même si le clin d’œil est tentant. Il parait que c'est parce que tes livres sont des ramassis de conneries antisémites, entre autre. Pour ma part, c'est parce que tu avais commencé à détester les hommes dans leur ensemble, et que te voilà, poussé par l’obsession, à cracher sur une petite partie seulement d'entre eux. Et puis surtout, c'est que tu démontres là toute ta médiocrité. Un petit homme dans l'esprit du temps, qui dit tout haut ce que les idiots pensent tout bas! Rien d'original dans ces trucs là! Désespérément commun dans les idées! Céline fait du comme tout le monde en mieux écrit, mais c'est bien tout ce qu'on peut trouver de positif à t'accorder.
Mais ça marche bien, ça se vend, alors pourquoi ne pas continuer? En dehors de ces écrits dans lequel ton vocabulaire s'appauvrit, mis à part les multiples synonymes de juif que tu utilises à longueur de pages, il faut tout de même te défendre. T’écris pas dans les journaux de collabo, tu fais pas de discours pour le grand Reich. Bref, dés que le petit moustachu délirant envahi le pays, tu fermes ta gueule, et t’arrêtes d'arroser de l'eau croupie qui constitue ta pensée de l'époque une plante qui commençait déjà à avoir une drôle de gueule.
Donc au final, pourquoi? Peut-être parce que les gens veulent se donner bonne conscience, veulent oublier qu'ils étaient majoritaires à partager tes petites idées médiocres. C'est jamais amusant pour les gens de regarder un miroir... C'est que ça dit trop de vérité sur soi ces trucs là!
Et nous voilà donc arrivé à Nord. Nord, c'est l'histoire de ta fuite, parce que tu te doutais bien qu'après la guerre, il allait y avoir une sorte de curée. Les gens allaient exprimer leurs frustrations sur tout ce qui ressemblait de près ou de loin à du collabo sans forcément beaucoup de discernement; comme ils en ont l'habitude. Et puis, toi, pas folle la guêpe, tu sais bien ce qui t'attend! Tu les as écrits les pamphlets! Tu sais bien qu'il y a dedans tout ce qu'il faut pour te payer une nouvelle cravate à la mode, et le nœud qui va avec! Donc, vu que tu es dans de beaux draps, tu prends tout le pognon que tu peux, et tu te casses avec ta gonzesse Lili, ton chat Bebert , et Le Vigan un pote acteur vers l’Allemagne pour fuir la vengeance de la foule déchainée.
Nord, ça raconte tout ça. Et bien plus....
Il y a deux choses que j'ai vraiment aimé dans ton bouquin.
La première, c'est que t'as des bollocks grosses comme des pastèques, et que tu n'hésites pas à égratigner tout ce qui passe à ta portée, y compris toi même, sans jamais te donner le beau rôle, et sans jamais t'excuser de ce que tu penses. Tu y vas même de quelques petites phrases acides sur les Tziganes et sur les juifs, comme ça en passant, petite provoc pour dire que tu ne te renies pas. J'ai beau regarder ce que tu penses avec un certain dédain amusé, faut avouer qu'il y a un vraie forme de courage là dedans. Un fond de masochisme aussi sans doute. Tu t'es habitué à donner l'image d'un persécuté jusqu’à t'en convaincre toi même, alors, il faut bien en remettre une petite couche! C'est toujours agréable de se sentir incompris, on a l'impression que ce sont les autres qui sont cons!
Donc, voilà, je salue tout de même ton côté intransigeant.
En second lieu, c'est cette description de l'Allemagne pendant sa chute, comme aucun historien ne pourrait le raconter. Le Berlin sous les bombes, les privations à Zornhof (en réalité Kränzlin), le délire qui s'empare de la population Allemande,... Tout ça, c'est puissant, et nécessaire. On peut pas vraiment te reprocher quoi que ce soit là dessus.
Après, il y a le reste. Ta petite musique me lasse. Plus tu la raffines, moins elle touche. Bien sûr qu'il y a encore de la tendresse qui surnage, même qu'on s'y attend pas de ta part, et pourtant, c'est tout toi mon vieux Ferdine! Bien sûr qu'il y a encore ces phrases qui éclatent en tête! Mais plus rares! Éparses! Comme déchiquetées sous les bombes d'un style travaillé comme une machine de guerre. A force d'exploser les conventions, ton style vole parfois de manière aérienne, poétique, mais les morceaux retombent aussi dans un grand splatch! Membres éparpillés sur le sol du cadavre d'une sorte de vérité plus instinctive, d'une honnêteté d'écriture plus immédiate.
Je sais qu'il est de bon ton pour les académiques de se palucher plus sur ta trilogie Allemande que sur le Voyage. Mais vu que je n'ai rien d'un académique, tu me permettras d'avoir quelques réserves. Néanmoins, ça m'empêche pas d'avoir aimé ton livre, et de vouloir lire les suivants tout de même, mais il y a un petit truc qui me manque.
En fait, peut-être que c'est Ferdinand Bardamu qui me manque, tout simplement. Peut-être que Guignol's Band me plaira plus.
Peut-être aussi que j'insiste pas assez sur les moments magiques de ton bouquin. Alors, ce que je vais faire, c'est te laisser la parole. Et sans doute qu'après t'avoir lu, les gens se rappelleront pas de ce petit billet. Je te le dois bien, après ces mots pas toujours gentils, mais jamais vraiment méchants non plus. Ou suffisants! Va pas croire! Je te le dois bien donc; te donner l'occasion de me faire fermer ma grande gueule. A bientôt Docteur Destouches.
"le monde nouveau, communo-bourgeois, sermonneux, tartuffe infini, automobiliste, alcoolique, bâfreur, cancéreux, connaît que deux angoisses : "son cul? son compte?" le reste il s'en fout... "
"Maintenant je suis fixé... nous avons au moins deux amies!... Cillie Von Leiden et la bossue... pas mal dans notre condition!... d'abord n'importe où et n'importe quand, paix, calme plat, guerres, convulsions, vagins, estomacs, verges, gueules, braquets, à ne pas savoir où les mettre! à la pelle!... mais les coeurs? infiniment rares! depuis cinq cent millions d'années, les verges, tubes digestifs, se comptent plus, mais les coeurs?... sur les doigts!... "
"Le vrai rideau de fer, c'est entre les riches et les miteux… Les questions d'idées sont vétilles entre égales fortunes… L'opulent nazi, un habitant du Kremlin, l'administrateur Gnome et Rhône, sont cul et chemise, à regarder de près, s'échangent les épouses, biberonnent les mêmes Scotch, parcourent les mêmes golfs, marchandent les mêmes hélicoptères, ouvrent ensemble la chasse, petits déjeuners à Honolulu, soupers Saint-Moritz !… Et merde du reste !… "
" Qu'est-ce qu'on venait perdre le temps ici ?...sitôt qu'ils peuvent c'est bien simple tous les gens vous font perdre des heures, des mois...vous leur servez comme de fronton à faire rebondir leurs conneries...et bla ! et bla ! et reblabla !...une heure de cette complaisance vous aurez quinze jours à vous en remettre...prenez un pur-sang, mettez-le à la charrue, il en aura pour un mois, deux mois, à reprendre sa foulée...peut-être jamais...aussi vous peut-être, d'avoir voulu être aimable, prêter une oreille..."
"quand elle a fini d'être môme, l'humanité tourne funèbre, le cinéma y change rien... au contraire... de quoi elle serait gaie?... il faut être alcoolique fini pour trouver que la route est drôle... "
« les femmes ne sont pas que corps !… goujat ! elles sont ‘compagnes’ ! et leurs habits, charmes et atours ? à votre bonne santé ! si vous avez le goût du suicide, charmes et babil, trois heures par jour, vous pendre vous fera un drôle de bien !… haut ! court !… soit dit sans méchante intention ! ou vous passerez toute votre vieillesse à en vouloir à votre quéquette de vous avoir fait perdre tant d’années à pirouetter, piaffer… faire le beau, sur vos pattes arrières, sur un pied, l’autre, qu’on vous fasse l’aumône d’un sourire »
« anarchiste suis, été, demeure, et me fous bien des opinions ! »
" ... sûrement on serait coupables de tout!... à y regarder de plus près, plus tard, cette malédiction n'est pas sans vous apporter certains avantages notamment à vous dispenser une fois pour toutes d'être aimable avec qui que ce soit... rien de plus émollient, avachissant, émasculant que la manie de plaire... pas aimable, voilà c'est fini, bravo!... "
"Je crois, Lili, les tragédies d'hommes, elle en voyait tellement autour, que c'était entendu, tout voulu, pas à s'en mêler... tandis que les malheurs des bêtes, personne y faisait attention, alors pour elle y avait que les bêtes qui existaient... le temps a passé, et bien des choses... à réfléchir je crois qu'elle avait assez raison...
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le 17 avr. 2016
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