De loin, Nos mythologies économiques ressemble à un salutaire travail de démystification ; de plus près, à un de ces livres d’actualité politique publiés sous le nom de quelque candidat avant quelque élection. En guise de mise à bas des clichés dénoncés – il sont une quinzaine, sous trois rubriques : les mythologies néolibérale, « social-xénophobe » et « écolo-sceptique » –, ce sont des affirmations contraires à peine plus étayées – et de moins en moins étayées au fil de l’ouvrage : peu de données chiffrées et sourcées et une redondance croissante du propos. En même temps, l’auteur s’était tiré une balle dans le pied dès le début en affirmant que « l’économie, c’est son paradoxe premier, est une mythologie qui désenchante le monde » (p. 12 de la réédition « Babel ») et qu’« il n’y a pas de vérité en économie » (p. 14)…
Mais au lieu de rendre son propos ouvertement idéologique, ce qui ne devrait jamais poser problème dans le cadre d’un essai, l’auteur lui donne les oripeaux d’une subjectivité raisonnable, dans une optique finalement assez boy-scout.
Ainsi, certaines analyses me semblent tout à fait justes, mais Éloi Laurent semble – volontairement ou non ? – circonscrire leur portée. Je ne trouve rien à redire, par exemple, à celle-ci : « Le lieu d’origine des familles lui-même devient secondaire dans la réussite scolaire dès lors que le niveau social est pris en considération » (p. 92). Pas davantage à celle selon laquelle « l’“ubérisation” de l’économie […] exploite habilement les failles de la régulation publique et repose sur la monétarisation des activités gratuites, la mobilisation du capital non marchand et, de manière générale, l’expansion de la sphère marchande sur la sphère privée » (p. 28). Mais il m’aurait plu de lire la réflexion d’un économiste de gauche à ce sujet, notamment quant aux procédés par lesquels l’« uberisation » s’est constituée en « mythologie ». (Je conçois qu’une analyse plus poussée de l’empiétement croissant du marchand sur l’intime, qui me semble caractériser le libéralisme actuel, eût dépassé le cadre de cet essai. Pourtant, l’idée que rien ne doit échapper à l’économie est précisément au cœur des mythologies évoquées dans cet ouvrage. Dommage de ne pas l’avoir explicité.)
En définitive, je pense que le principal problème des explications avancées par Nos mythologies économiques est qu’elles se servent du langage mis au point par les mythologues que l’auteur entend dénoncer. Or, on ne peut pas réparer un vase à l’aide du marteau avec lequel on l’a cassé, ni débosseler une carrosserie de voiture en provoquant un deuxième accident. C’est pourtant ce que cet essai semble vouloir faire lorsqu’on y lit que « la contrainte environnementale […] peut devenir un levier de créativité » (p. 92), par exemple.
Notre novlangue a décidément de l’avenir.