Je lis ce texte bref tantôt comme les jérémiades égocentriques d’un auteur dont je ne sais même pas s’il écrit bien, tantôt comme un sommet de lyrisme. Allez savoir…
Le coup de l’artiste malheureux pour qui l’intelligence est un fardeau, c’est évidemment du lu et relu cent fois, mille fois ; l’exercice à ses incohérences : « Que devient alors mon talent si ce n’est une consolation pour le fait que je suis seul – mais quelle épouvantable consolation, qui me fait simplement ressentir ma solitude cinq fois plus fort ! » (p. 15). Mais si écrire te rend malheureux, arrête d’écrire ! Si à trente piges tu n’as toujours pas compris que l’écriture est une des activités les plus solitaires qui soient, qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Oui, « la dépression est une poupée russe » (p. 17) ; qui te force à y jouer ? Oui, la liberté, c’est comme la drogue parfaite…
Entendons-nous bien : humainement, je n’ai rien à redire à la démarche. Peut-être cherchons-nous tous « une consolation qui illumine » (p. 13). Et j’en ai consolé, des potes qui pleuraient dans leur bière en disant que le monde était pourri, qu’ils ne trouveraient jamais le bonheur, qu’ils avaient le cœur plein de merde et qu’ils allaient s’en tirer une. (Il est arrivé à certains d’entre eux de me consoler dans les mêmes circonstances.) Ils le disaient généralement avec moins de talent que Stig Dagerman. Mais Stig Dagerman n’est pas mon pote : Stig Dagerman, pour moi, c’est des mots sur du papier. (Ce texte fait souvent penser au Métier de vivre de Cesare Pavese. Mais le Métier de vivre est un journal, c’est-à-dire que l’attachement entre le lecteur et l’auteur y est beaucoup plus construit.)
Pas n’importe quels mots, bien sûr : on ne peut pas dire qu’il n’y a pas au cœur du texte un noyau irréductible de littérature, c’est-à-dire de mystère – mystère peut-être redoublé ici par le fait qu’il s’agisse d’une traduction. Quelque chose qui donne envie de le lire et de le relire en en pesant chaque mot, comme s’il s’agissait d’un long poème en prose. En attendant, Notre besoin de consolation est impossible à rassasier, c’est comme le suicide : difficile de me faire un avis définitif dessus.