Critique de Shaynning

Incontournable Mai 2024

Ah, il est venu le temps pour moi d'élaguer mes tablettes de mes livres accumulés en cette fin d'été 2024, je ne peux tout simplement pas tout finir, les romans ont raison de moi. J'ai donc terminer ce roman en escamotant le milieu, mais ayant déjà lu un autre roman de cette autrice, je dirais que je connais au moins sa plume et sa capacité à faire des romans intrigants jusqu'au bout. Et avec les thèmes de ce roman, on a ici quelque chose d'assurément moderne et pertinent. Je n'abandonne donc pas ce roman par réelle envie, mais par manque de temps.

Beatrice est une jeune fille de 11 ans dont la structure familiale est définitivement atypique. Vivant à Ravenwood, dans une grande maison qui aurait grand besoin de rénovations dans un espace forestier enchanteur, Bea a été confiée jeune à son oncle Leo par un père qui se consacre à sa femme, à la santé plus que boiteuse. S'ajoute à ce duo une maman et son fils, Martha et Rafael, qui est devenu le "frère" adoptif de Bea, pour ainsi dire. À eux quatre, la vie semble paisible, jusqu'au jour où les frères de Léo parviennent à le convaincre de vendre la propriété, afin qu'un contracteur y fasse dresser un hôtel. Certes, l'idée plait aux adultes qui vont s'enrichir, mais les actuels habitants de Ravenwood ont le coeur en berne. C'était sans compter l'opiniâtreté de Bea et de Raffy, qui veulent se battre pour sauver leur foyer et surtout Yggdrasill, un arbre grandiose sur lequel repose leur cabane. L'arrivé d'une enfant de leur âge, Noa, elle aussi déçue par les adultes, semble ajouter une couche de frustration chez Bea, mais Noa finira pas s'en faire des amis et mener avec eux leur plan pour sauver à la fois leur arbre et la maison.

Je reconnais dans cette histoire l'intérêt de l'autrice pour les enfants avec des enjeux familiaux, dont j'avais pu constater la chose dans le roman " L'aventure de Castle Rock". Ici, Bea est une enfant négligée, littéralement mise de côté par un homme plus soucieux de sa femme que sa fille, et une maman qui a l'air de vivre une dépression post-partum particulièrement coriace. En tout cas, elle semble jongler avec une santé mentale très fragile. Noa, pour sa part, a vécu la difficile rupture de sa cellule familiale et son père vit maintenant avec une autre femme et leurs jumelles. Donc, Bea ne vit pas avec ses parents, mais bien avec son oncle, sa conjointe et le fils de cette conjointe, Martha. J'aime bien les romans qui permettent de se questionner quand aux structures et modèles familiaux, qui se permettent de redéfinir le concept même de "famille". Nombreux sont les cas de famille "choisie", illustrant à quel point les liens du sang ne sont pas les seuls à êtres forts, n'en déplaisent aux instances religieuses qui croient le contraire. Il est bon de voir que c'est finalement la qualité des liens et de l'attachement qui unit les gens, bien plus que des gênes communs.

Le cas de la maman de Bea me rappelle celui de Rio, dans "Rio et la baleine perdue', dans lequel la maman jongle avec une santé mentale précaire, quelque chose qui ressemble à un trouble bipolaire ou un trouble dépressif chronique. On parle encore peu de santé mentale en littérature jeunesse, ça commence peu à peu et on peut commencer à comprendre par leur intermédiaire à quel point ce sont des états invalidants. La difficulté supplémentaire que les gens avec des troubles de l'humeur vivent est l'ostracisation des pairs, car leur maladie est invisible et mal comprise. Voir méconnue. On ne voit pas beaucoup la maman de Bea dans le livre, mais la fin nous donne un aperçu du degré de culpabilité de cette maman, qui a préféré laissé sa fille dans un cadre heureux plutôt que lui imposer une vie où elle ne serait pas disponible physiquement et mentalement pour assumer son rôle. Ça n'invalide absolument pas la souffrance de Bea, qui s'est sentie rejetée, et avec raisons, néanmoins, il y a une raison réelle et nuancée à sa situation.

La dimension écologique est aussi bien mise en évidence, avec cette bande jeunes mobilisés au nom de la préservation écologique, épaulée de quelques personnes âgées. C'est le bon vieux débat de l'économie contre l'environnement, même si en toute logique, l'économie ne pourra plus exister si on a plus de planète sur laquelle vivre. Il va bien falloir trouver un équilibre un jour. En tout cas, on ne peut que se sentir bien dans cette nature généreuse où s'activent des enfants aventuriers et amateur de culture nordique.

Un aspect aussi que j'apprécie de l'autrice est sa façon de se faire rencontrer les générations sans tomber dans l'âgisme et les clichés d'âges. Ici, il n'est pas question d'adultes limités niveau intelligence ni de personnages aînés grabataires. S'il y a clairement des divergences d'opinion et des enjeux, personne n'est malveillant ou maléfique ( quoique le/la responsable du feu est assurément une personne dénuée de jugement).

Avec sa plume efficace et ses personnages nuancés, madame Farrant nous offre encore une fresque sociale jeunesse, avec une profondeur dans ses sujets, des enfants capables sensibles et déterminés à défendre leurs valeurs, tout en donnant une place à une nature généreuse qui sert aussi de terrain de jeu. J'apprécie toujours autan les auteurs jeunesse qui offre une place à la diversité ethnique également, ainsi qu'à la diversité masculine. Enfin, j'ai toujours une certaine joie à voir des histoires qui font intervenir le pouvoir des communautés, qu'on oublie souvent en jeunesse, je trouve. Il y a bien plus de force dans un groupe où se côtoient divers forces et idées que chez un héro solitaire, je trouve et on ne le mentionne pas souvent. Ça me peine de devoir avorté ma lecture, mais j'ai une nouvelle rentrée littéraire arrive et il me fait du temps.

Un autre beau roman pour Natasha Farrant.

Pour un lectorat intermédiaire du 3e cycle primaire, 10-12 ans+