Notre Quelque Part
Nii Ayikwei Parkes (2009)
[éd. Zulma]



"On ne pense pas à ces choses. C'est comme la lumière.
Le jour, il y a toujours de la lumière et on n'y pense pas,
mais moi, Yao Poku, je suis un chasseur,
alors la lumière me surprend."



"Notre quelque part" c'est comme un bol d'air. C'est frais, c'est simple, ça ressource.


Des autorités locales corrompus et carriéristes, un "médecin" légiste avec sa méthodologie scientifique. Nul besoin de décortiquer un héritage du roman policier, juste de quoi poser le cadre d'un récit, et ce, sans accroc.
Exemplaire dans sa présentation des personnages, des situations, et des interactions , Nii Ayikwei Parkes sait créer une empathie immédiate pour ses personnages.
L'auteur relève avec brio les petits détails qui veulent dire beaucoup. Ce qui se marie parfaitement avec le ton d'Opanyin Poku qui raconte ses histoires.


D'une part, le quotidien d'un jeune légiste, son travail, ses potes, sa famille, ses habitudes, sa ville, ses projets et ses ambitions; puis, d'autre part, le chasseur du village qui (nous) raconte une histoire. Des deux parts, le récit s'attarde mais ne s'éternise pas pour autant dans des longueurs.


C'est maîtrisé de bout en bout. Pas une ligne de trop (le roman est assez court, certe).



"Je me souviens, j'ai regardé le ciel et j'ai dit, Bientôt les
chauves-souris vont peupler l'air de leur aveuglement."



A noter que le villageois est autant fasciné par les technologies (radiophonie et appareils amenés par le légiste), que le citadin est fasciné par la vie au village (les pratiques, les contes, etc...). Il y a un respect mutuel entre ces deux protagonistes qui créé une alchimie plaisante. Ce point est mis en relief par contraste dans un contexte de condescendance et dédain (diplômé et non-diplômés, ville et campagne, chef et employés, etc...).
Pas de méprise cependant: L'auteur ne fait montre d'aucune dénonciation pédante, voire didactique. Il fait évoluer sa narration sous une apparente légèreté savamment orchestrée. Le ton est toujours juste.


Au milieu de polars prétentieux, maladroits, ou réchauffés, "Notre Quelque Part" fait clairement figure de bol d'air. Mais aussi de leçon.


Maintenant, abordons le travail de Sika Fakambi, que je ne connaissais pas avant la lecture de ce "Tail of the blue bird". D'emblée, on ne peut que louer la qualité de la traduction. C'est bluffant, vraiment. Mais je vois qu'elle en parle très bien elle-même (extrait d'interview):


"
En anglais, le livre entremêle plusieurs langues en usage au Ghana, différents registres... Comment avez-vous procédé ?


Je me suis servie des langues que j'entendais enfant au Bénin — le mina, le fon, entre autres, et bien sûr les différents registres de français que l'on peut entendre là-bas — pour transposer ce tissage entre les langues, celle inventée du chasseur Yao Poku, le twi qui émaille le récit, la parole des ancêtres portée par les proverbes, l'anglais « littéraire » du jeune médecin légiste Kayo, le pidgin des policiers d'Accra, ou encore l'anglais administratif de l'inspecteur Donkor.


Ce qui est remarquable, c'est le travail de décentrage opéré par l'auteur, qui est un geste éminemment politique... D'habitude, dans un roman écrit par un auteur africain et édité en Europe, ce sont les termes en langues vernaculaires qui apparaissent en italique. Dans le récit de Yao Poku, ce sont plutôt les termes empruntés à la langue anglaise, décrivant des réalités qui n'existent pas en twi, qui sont en italique — policemans, légisse, chauffeur...
"

Horace_Neville
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le 1 oct. 2016

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