Adoptant la dystopie, le roman de Marie Darrieussecq est une réflexion sur la psychologie et les conséquences du transhumanisme. Captivant.
De cette vie dans les forêts annoncée dans le titre, on saura finalement peu de choses, la narratrice avouant, au détour d’une réflexion : « Je ne peux pas tellement m’étendre sur notre vie dans les forêts. Question de sécurité ». Pourtant, ce récit à la première personne converge vers cette nouvelle vie, loin des métropoles surpeuplées, rendues toxiques et gangrenées par les attentats à répétition qui obligent chacun à rester chez soi. La forêt se présente comme un lieu où fuir, se reposer et vivre en harmonie avec soi et avec sa moitié, sa moitié au sens dystopique développé par Marie Darrieussecq tout au long de ce court et passionnant roman.
« Ce n’était pas de notre faute si nous avions tous des saletés de maladies, c’était la pollution de l’air, le charbon que nous envoient les pays attardés qui se chauffent avec, les produits chimiques dans la nourriture, les OGM un peu partout. On tombait malade. On n’y pouvait rien. Les moitiés étaient là. » Marie, la narratrice, comme beaucoup, possède sa propre moitié. En cas de problème de santé, il suffit de piocher dans le réservoir que constitue ce clone. Un poumon déficient, une vue qui baisse ? La moitié, réplique exacte de l’original, est là pour pallier les déficiences de l’humain qui vieillit et dépérit.
Notre vie dans les forêts est ce récit halluciné d’une prise de conscience d’un monde qui s’écroule. Marie, psychologue, femme intellectuelle et donc savante, se questionne sur cette chaîne causale qui l’a conduite à vivre dans une forêt avec sa moitié. Tombant amoureuse de son patient, un cliqueur (un homme qui, pour perfectionner les robots, repère les associations d’idée : « s’adapter = progrès = améliorer = équilibre »), Marie trouve en lui un compagnon de fuite idéal. Dystopie originale en ce qu’elle est extrêmement proche de nous, Notre vie dans les forêts, réjouissant, présente le portrait d’une femme perdue et pourtant assumant son choix de vie.
« Moralité : Marie est née par mère porteuse très vite après ma propre naissance, avec exactement le même matériel génétique que moi, et nous a toujours été présentée comme une assurance-vie : pour moi mais aussi pour mes parents, puisque nous étions tous du même sang. Un corps durable. Des greffes strictement compatibles, si nous avions besoin qu’on nous change un organe. Marie = réservoir de pièces détachées. Moitié = sécurité. Enfin c’est toute la grande histoire qu’on nous a racontée. Et – pitié – je ne vais pas vous la resservir. »