Voici donc le second manuscrit que je lis de l'auteur, François Bégaudeau, où il s'est donné à l'exercice de l'écriture d'une pièce de théâtre. Ayant étudié sur le sujet dans mon jeune temps, il s'agit d'un genre que j'affectionne particulièrement (même si je déplore ne pas en lire assez). Parce que lorsque la pièce est bien écrite, il est tout naturel pour moi que la pièce se matérialise dans mon esprit aussi réellement que si j'étais face à la scène, à la place du metteur en scène, dans le cadre d'une répétition générale. Force est de constater que cet écrit réussi sans efforts à stimuler l'imaginaire fertile qui se terre dans mon esprit. Dès les premiers dialogues, j'ai vu clairement "Elle" et "Lui", les deux personnages centraux qui feront avancer une pseudo-intrigue au fur et à mesure de leurs conversations. Je les vois aussi clairement cette masse informe de gens qui vont petit à petit réagir à la conversation des protagonistes, qui est nommé le choeur. Ces derniers, d'abord discrets, aux premières réactions subreptices, vont peu à peu prendre de l'importance au fil de la narration jusqu'à devenir l'unique entité à la conclusion de la pièce, tant et si bien que "Elle" et "Lui" prendront part à l'ultime joute verbale qui verra ce choeur se scinder en deux parties.


En tant que grand adepte du minimalisme de la scénographie, j'apprécie particulièrement quand l'auteur ne donne pas trop d'indications sur les accessoires, les décors, le maquillage ou tout autre artifice plus ou moins utiles. Cela laisse libre court à l'imagination de celui qui voudrait entreprendre la réalisation de la pièce et permets de créer une grande pluralité de l'interprétation de l'oeuvre. Ici les quelques rares indications qui viendraient donner des indications de mises en scènes sont utiles et servent de réel outil de jeu pour les acteurs, et même parfois pour le spectateur. Pour donner vie à cette pièce, vous aurez besoin:

- D'une huitaine de comédiens,

- De quoi projeter une image sur un grand écran,

- D'une maquilleuse qui sait faire un faux tatouage de rollex,

- De plusieurs smartphones, idéalement au nombre des acteurs qui seront présents sur scène, et sans nécessité que ceux-ci soient en bon état de marche.


Bref, rien de trop compliqué à mettre en place.


Pour revenir sur la pièce en elle-même, il s'agit essentiellement d'un dialogue entre "Elle", qui a reçu la veille, une demande saugrenue de son boss, mais malheureusement pas si exceptionnelle que cela, de se rendre joignable par téléphone le week-end. "Elle" en parle à "Lui", qui semble être son compagnon, et ne prends pas tout à fait position sur la question. Disons qu'il rassemble à lui seul toutes les réponses consensuelles que l'on pourrait imaginer sur le sujet et se fait le représentant en quelque sorte de l'apaisement social. alors que "Elle" va tout faire pour ne pas plier aux exigences de son boss comme elle l'appelle, et représente à l'inverse une espèce d'apaisement personnel. Ou en tout cas, un appel en détresse pour l'avoir, cette foutue paix. Et le choeur dans tout ça, viendra sur certains temps mort du dialogue asséner des réflexions parfois acerbes, parfois consensuelles, parfois maligne, parfois complètement idiote, parfois vaines, parfois retentissantes, dans un chaos constant qui va petit à petit prendre forme au fur et à mesure de l'évolution de la pièce. Si on doutait de l'orientation politique plutôt anarchique de l'auteur, en voici une formidable matérialisation.


Dans le style de l'écriture, on reconnaît la patte de l'auteur pour tout ceux qui l'ont déjà lu, ou vu, que ce soit en tant qu'intervenant dans des émissions, ou au cinéma, en tant qu'acteur, ou même scénariste, notamment sur "La vie d'Adèle", et "Entre les murs". C'est-à-dire un auteur qui est en parfaite maîtrise de la langue française et qui utilise des plus belles formules et des plus beaux mots, sans pour autant atteindre un snobisme ultra maniéré excessivement désagréable, ni un élitisme qui rendrait son oeuvre opaque si ce n'est aux littéraires les plus assidus (que je ne suis pas). Bien au contraire, l'auteur exerce un style qui est accessible à tout un chacun dans un soucis de ne pas perdre son lecteur sans le prendre pour un idiot justement. A des réflexions complexes, des mots communs et des références connues sont utilisées. Il ira même jusqu'à parler du jeu "Pokémon Go", rendez-vous compte !


La pièce n'est cependant par parfaite. D'abord, la présence de nombreuses références temporelles qui tendent à rendre l'oeuvre ancrée dans son époque. On parle notamment du 11 Septembre, de l'attaque du Bataclan et de l'attaque de Charlie Hebdo, entre autres. Si le fait que la pièce cherche à être ancré dans son temps, ce qui se trouve complètement raccord avec le propos même de la pièce, ces dernières références, usée à l'approche de la conclusion de la pièce, m'ont semblé presque gratuite. Certes elles sont utilisée comme le socle d'une critique sur nos corps, devenus insensibles aux évènements du monde, qui, dés qu'ils rentrent frontalement en contact avec nous, nous rendent hyper-sensibles. Mais je ne suis pas convaincu que citer à la suite plusieurs évènements rendent le contenu plus pertinent et, au contraire, m'a personnellement fait perdre ma capacité à matérialiser cette pièce écrite d'une main de maître jusque-là, avec une lourdeur qui vient ralentir le rythme des dernières minutes de ce récit. D'autant que je parle d'évènements ancrés dans leurs époques, mais là où ça devient plus problématique c'est quand on se rends compte que ces évènements mis en avant par l'auteur sont aussi et surtout ancrés dans l'espace. Paris, ville où est né et réside l'auteur de la pièce. La pièce qui soulevait jusqu'alors des problématiques et des réflexions presque universelles, en tout cas dans un monde industrialisé et libéralisé, se translate petit à petit en une oeuvre qui se concentre sur la France, puis sur Paris, puis sur l'appartement où vit l'auteur, puis dans l'esprit de l'auteur lui-même où celui-ci viendra planter une ultime introspection dans les dernières lignes de son oeuvre, sous la forme d'un monologue. Alors, à la conclusion de celle-ci on constate un peu amèrement que pour matérialiser cette pièce, il ne suffit que d'une chose:

- Être François Bégaudeau.


Ce qui est autant une force qu'une faiblesse. Ce qui amoindri la portée de l'oeuvre à la découverte d'une conclusion qui apparaît comme une ultime catharsis pour son auteur. Un portrait psychanalytique libérateur de toutes tensions et de toutes frustrations qui l'enchaînent. Enchaîné à sa condition de Parisien, de Français, d'homme dans un monde libéral qui l'étouffe, d'un esprit qui se rêve libre. Et par cette conclusion, il nous invite nous aussi à devenir des penseurs au plaisir onanique intellectuel fous, mais discipliné. A apprendre la capacité de dilater le temps et de devenir l'espace de quelque secondes un voyageur du temps immortel.


Et peut-être à nous aussi devenir un auteur qui délivre un écrit aussi imparfait qu'il n'est parfait.


Bref, ne perdez pas votre temps à répondre à votre patron le week-end.

Valoo24
8
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le 1 août 2023

Critique lue 7 fois

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