' Je ne conçois pas d'œuvre comme détachée de la vie ' - Antonin Artaud, L'Ombilic des Limbes
Je vais me servir du souvenir de lecture Des nouveaux écrits de Rodez comme base pour parler de quelque chose qui me chagrine beaucoup. J'ai toujours voulu défendre les artistes intolérables, exécrables pour peu que leur travail soit intéressant. J'étais persuadé que la vigueur de ma pensée arrivait toujours à dissocier l'homme du créateur et le personnage de l'acteur. J'aurais pu continuer dans cette lignée pendant longtemps si je n'avais pas découvert Antonin Artaud il y a peu.
Antonin Artaud est un homme fascinant. Il a traversé de nombreux états, sombrant dans la folie, errant d'un hôpital psychiatrique à un autre, proposant des théories nouvelles en tout genre, Artaud singe la folie et la folie se fout de sa gueule. L'empreinte de son derrière posé sur le théâtre sent encore la merde à trois kilomètres, les nouveaux metteurs en scène peuvent encore se resservir des excréments d'Antonin, la force de son caca agrippe le bois des planches, et sa pensée a définitivement était puissante.
Néanmoins, comprendre Artaud est impossible sans essayer de le comprendre lui même. C'est en cela que les écrits de Rodez nous amènent à complètement redéfinir l'artiste et sa position. Le corps d'Antonin est traversé par la duplicité, ses paradoxes intérieurs de sa vie ont crée son double, et sa pensée en clivage ne peut être considérée extérieure à sa vie. Dans Les Nouveaux écrits de Rodez, Artaud nous explique comment Antonin Napals a pris possession de son corps et comment Artaud se meurt pendant ses années psychiatriques. Face à cette anomalie, on est choqué par quelle lucidité Antonin semble parler de sa propre schizophrénie. Si Artaud est si intéressant c'est bien par la conscience de la situation qu'il traverse, il se sait victime de son état. Mais alors comment fait-il pour l'exprimer avec tant de folie et de dissonance. Est-ce un personnage ? Est-il vraiment fou ? La camisole et ses cris dans sa chambre d'hôpital pendant les années Rodez tenteront de le calmer à coup d'électro-choc. Pourtant son œuvre arrive à s'exprimer. Ce sont des lettres, des essais dithyrambiques, l'oeuvre de l'artiste pullule dans les pores de l'homme nouveau, de l'homme fou.
Être timbré aux yeux des sains, être un Dieu aux yeux des saints. Voilà la théorie d'Artaud. Si l'artiste dissocié de son œuvre peine à s'exprimer, il faut alors la rattacher à la vie, la toile peinte se dessine avec les morceaux de corps du pinceau et la goutte de peinture n'est plus indissociable de la veine vibrante enrobant le sang. Artaud fait partie de ceux dont la vie est trop marquante pour être oubliée, l'incapacité de dissocier son étron artistique de son anus nous assassine. La violence de ses mots nous rappelle la violence qu'il a pu traverser, les pulsations électriques que provoquent ses électro-chocs nous rappellent ses cris d'incantation lors de sa pièce Pour en finir avec le jugement de dieu.
Tout cela m'agace, je pensais que le créateur se rendait invisible, se cachant derrière sa progéniture. Les plus courageux pourront peut-être adopter l'anonymat, la composition s'accomplira peut-être dans la pureté, il faudra tout de même espérer qu'aucun culte de l'artiste anonyme ne s'affirme.
Les dictateurs de tournages dégoulineront lors de la projection, on le blâmera de mal traité leurs acteurs, même si leurs films sont splendides. Au diable la perfection de l'irréel, on recherche l'erreur dans l'oeuvre et on l'attache à une tare de la réalité de l'artiste. On accepte difficilement l'oeuvre d'un artiste salopard.
Je ne sais plus où commence la compréhension, j'aimerais maintenant pourvoir lire Mein Kampf en 1925, sans Histoire, sans savoir l'après. J'aimerais voir l'oeuvre des pires enflures en me disant qu'ils sont bons derrières leurs toiles, c'est maintenant difficilement possible, la seule solution est donc la voie de l'ignorance, l'ombre du génie déglingué pèse beaucoup trop. Ne posons plus de questions aux peintres laissons leur tartiner la toile comme bon leur semble. C'est un carré ? Non c'est un Malevitch.
Je tire souvent l'épingle néfaste dans cette incapacité à dissocier les deux morceaux. Néanmoins le cas Artaud souligne la puissance de l'impossibilité à diviser l'écrit de l'écrivain, les deux forment un tout, l'oeuvre folle. Les Nouveaux écrits de Rodez sont à la fois des poèmes en prose d'un patient à son médecin, mais ce sont aussi les marques d'une thérapie médicale profonde. L'art découle de l'artiste et le purifie. L'oeuvre est lié à l'artiste, au-delà de ses fondements, c'est bien notre approche de spectateur à adapter. Faut-il obligatoirement admettre qu'Antonin Artaud est interné à l'asile de Rodez pour lire ses textes ? Dans leur contexte ce n'est plus négligeable, mais par dessus ce spectre de la thérapie se dessine un essai, un poème, un pensée bien plus puissante qui traverse les âges.
Certaines lettres sombrent dans la banalité du quotidien quand Artaud demande à son médecin d'avantage de sucrerie pour soulager sa solitude, mais d'autres écrits nous aspirent dans la spirale de sa folie. Non pas la folie d'Antonin Artaud, juste la folie. La beauté de l'humain en perdition, la faille existentielle qui nous différencie du robot sans erreur. L'erreur d'un cerveau inadapté, la lecture de la souffrance d'un homme. Au final, la juste mesure entre l'écrit indépendant de tout et le témoignage d'un artiste lié à son œuvre doit être trouvée. Il faut peser et ajuster ces deux fragments. Il ne suffit pas de prendre son texte comme des lettres de simples correspondances, il faut les prendre comme une véritable œuvre, une toile peinte de l'esprit. L'artiste est irresponsable, la distance avec son œuvre restera à jamais marqué, qu'est-ce que l'on peut en avoir à foutre que Van Gogh se coupe l'oreille ? Il a peint avec son rasoir ? Le spectateur comme toujours cherche des explications à l'inexplicable, le poids de la vie est parfois tellement bien retranscris chez certains, que le spectateurs cherche des indices pour aider sa compréhension face à une telle oeuvre. Les lettres d'Artaud sont parfois d'une violence et d'une véracité transcendantale, on préfère alors se dire qu'il est fou. Et Van Gogh ? Il prenait trop d'absinthe.