Terrible est la plume d’Huysmans, car elle donne à sourire du pire quand les histoires invitent les larmes. Nul besoin de faire dans la satire pour souligner le ridicule d’une situation, d’une pensée, on le retrouve dans la réalité même. Admirateur de Zola, celui qui mit des mots sur l’humour noir échappe toujours à la tentation du pathétique. Le sentiment de l’absurde l’emporte. Sa plume est fine et parfois égrillarde, l’humour grince à toutes les phrases et interroge, toujours, sur la difficulté de trouver sa place dans la vie, d’être vraiment heureux. Les 4 nouvelles rassemblées dans ce recueil sobrement appelé Nouvelles montrent tous le talent de l’auteur d’A rebours. Que raconte-t-il ? Rien, des histoires banales, à propos de personnes quelconques, déjà perdus pour le Futur. Pourtant, on ne s’ennuie pas, et son écriture toute visuelle, étrangement colorée au milieu d’un Paris fort gris n’y est pas étrangère.
Sac-au-dos
La première nouvelle est une sorte de farce burlesque en large partie autobiographique. Elle raconte comment un jeune homme envoyé à la guerre ne voit rien du front et passe ses journées à se morfondre d’ennui dans un hôpital à cause d’une maladie moitié réelle moitié fictive. Huysmans était en partie cet homme-là, partagé entre le bonheur de ne pas avoir à se battre (il affirme dans ce texte un caractère très antimilitariste) et l’envie de fuir un lieu de déprime où l’on doit toujours garder le lit, où l’on se retrouve piégé au milieu d’un peuple vulgaire, quand on est un jeune homme bien élevé qui ne pense encore qu’à s’amuser.
A Vau-l’eau
« Il n’y a plus qu’à se foutre à l’eau après la lecture de ce livre. » disait-il à propos de l’histoire qui créa l’expression « humour noir ». Il n’a pas tort. Monsieur Folantin, petit fonctionnaire dont la vie devient sordide à force d’être banale, pourrait-être en chacun d’entre nous. Il est aussi une part d’Huysmans, que le métier de fonctionnaire n’a cessé d’ennuyer. A vau-l’eau suit un homme très humble dont le métier permet la survie mais jamais l’aisance. Ses journées se ressemblent, rien ne lui permet de gravir les échelons de la société. Ses amis sont partis en se mariant, il est resté célibataire et essaye désespérément de se trouver une passion, de reprendre goût à la vie en essayant divers restaurants. Or, rien n’est jamais assez bien, il semble que chaque plat soit condamné à le décevoir malgré les promesses de leurs fumets. Huysmans peint cruellement la vanité de l’existence et, surtout, celle du raté, du misérable à qui rien ne sourit : « Allons ; décidément, le mieux n’existe pas pour les gens sans le sou ; seul, le pire arrive. »
Un dilemme
Moins personnel, plus naturaliste, Un dilemme est une critique sans surprises du bourgeois provincial. Par bourgeois, il faut bien sûr entendre un mot à la signification proche de « beauf », des personnages qui se sont établis une belle position malgré un esprit grossier, lourd et purement vénal. Cependant, loin des moralistes, Huysmans ne se range pas plus du côté des victimes, que la simplicité rendrait presque consentante. Pour l’histoire, un notable apprend la mort soudaine de son jeune fils qui étudiait à Paris. Il découvre aussi, à son grand déplaisir, que ce dernier vivait en concubinage avec une pauvre fille enceinte de quatre mois. Sans testament, cette dernière ne peut prétendre à l’héritage. Le dilemme se présente alors de cette façon : affirmer son rôle de compagne et ne rien toucher, ou se déclarer bonne pour obtenir le salaire d’un mois ; de quoi accoucher, tout au plus. La nouvelle est une triste descente aux enfers pour une jeune femme naïve que l’on devine dès le début trop faible pour lutter contre l’implacable cruauté du notable. Un Dilemme donne par la même occasion une réflexion sur la condition de la femme au XIXe qui, sans la sécurité du mariage, pouvait se retrouver à la rue avec ses enfants si son compagnon venait à décéder sans avoir eu le temps d’écrire leurs dernières volontées.
La retraite de Monsieur Bougran
Du jour au lendemain, un fonctionnaire confortablement installé dans la routine de l’administration est remercié. Un peu comme Monsieur Folantin, Monsieur Bougran s’est laissé aliéner par un quotidien trop réglé pour donner le goût des activités extérieures. Le voilà qui n’a plus rien à faire de ses journées. Avoir du temps libre est une chose, mais le vieil homme ne connaissait que son travail. A force d’ennui et par manque d’imagination, Monsieur Bougran sombre alors doucement dans la folie en répétant les gestes du bureau chez lui pour que sa vie continue à avoir un sens. Le recueil se clos ainsi sur la nouvelle la plus navrante et sans doute la plus dure de toutes.
En conclusion :
Pour décrire ses œuvres, Huysmans parle d’une recette qui requiert « une pincée d’humour noir et de comique rêche anglais ». Il impose un style original, drôle à sa façon, au milieu d’une tragédie, des mises en scènes comiques à force d’être lamentables. Tout l’inverse du romantique pourrait-on dire ! Mais, au fond, peut-on s’apitoyer sur des personnages qui souffrent avant toute chose de n’être rien ? Il est certain que 100 ans plus tard, ses Nouvelles continuent de contrarier les chemins ordinaires de notre pensée.