N'ayez pas peur des russes !
Autant le dire de suite, je ne savais pas du tout à quoi m’attendre en ouvrant cet ouvrage de Gogol. Etant un parfait profane en littérature russe (voire même un béotien littéraire ?), j’ai récemment réentendu parler de cet écrivain lors d’échanges sur Sens Critique. De plus, le fait qu'il soit souvent cité parmi les inspirations de Dostoïevski et ayant quelques points communs avec Franz Kafka qu'il a précédé, je ne pouvais qu’être attiré par ce bon vieux bougre de slave. Et pour commencer son œuvre, avoir une première approche du style de l’auteur, j’ai freiné mon envie débordante d’avaler goulûment Les âmes mortes et jeté mon dévolu sur un recueil de quelques unes de ses nouvelles.
Comme l’indique assez clairement le titre du recueil, chacune des nouvelles prend place dans la ville de St Pétersbourg, sorte de Babylone moderne, lieu mystérieux, dangereux où sont condensés les vices, les malheurs et les drames humains et où l’imaginaire prend souvent le pas sur la réalité.
On pourra louer le recueil de nous proposer, contrairement à beaucoup de regroupement de nouvelles, des histoires d’une qualité homogène, et étant clairement dans le haut du panier de ce que j'ai pu lire, chacune pouvant être un bonne place d'un top sens critique sur les nouvelles. Bon, en même temps, avec 5 nouvelles assez « longues » on est loin du foisonnement des recueils de Maupassant par exemple, d'où une lassitude sans doute plus difficile à atteindre.
Mais entre le Nez, où un homme recherche son nez disparus et qui se retrouve ostracisé, Lettre d’un fou le récit d’un homme sombrant dans la folie, le Manteau où un individu ne vie que pour son brave vêtement ostentatoire, la perspective Nevsky sur deux tentatives de… drague pourrait on dire déçues par le jeu des apparences, ou encore le Portrait où un artiste met de côté ses principes sous une influence mystérieuse. Bref il y a de quoi faire !
Je ne sais pas si les romans de Gogol ressemblent à ses nouvelles, mais si c’est le cas, je suis conquis d’avance. Et ceci, tant pour la forme que le fond ! Tout d’abord, contrairement à un pressentiment d’une lecture, d’un style assez terne et maussade, j'ai été agréablement surpris, que nenni mes chers amis d'un tel pressentiment ! L’univers de Gogol est d’un foisonnement rarement vu, développe un environnement fantastique en plein milieu d’un style réaliste. C’est le mélange des genres. Et ça marche. D’autant plus, qu’en parallèle de son univers déluré, surréaliste et parfois complètements absurde, les nouvelles sont la plupart du temps d’une drôlerie assez déstabilisante au départ mais qui fait mouche continuellement. Ajoutez à cela à cela une acceptation complète de l’irréel de la part des personnages pour rendre le tout encore plus cocasse et décalé.
Pour ce qui est de son écriture, Gogol a une plume très fine et légère, on ne s’ennui pas, et l’émotion ressort du style du russe, pour notre plus grand plaisir. Et ça reste assez différent du style de Dostoïevski (tout en ayant quelques points communs)
A noter aussi dans certaines nouvelles un sens du récit atypique où les points de vues de la narration changent régulièrement, nous déstabilisant un peu par moment mais nous mettant un petit sourire aux lèvres tant cela est bien trouvé (passant de la première personne, à un point de vue omniscient à un narrateur d'adressant directement au lecteur !).
Le fond, très social, est aussi accrocheur que la forme dans ces écrits de Gogol. Et notre cher auteur russe a la critique acerbe, les dents bien aiguisées, une vision sombre, pessimiste, quand il décrit les personnages de ses histoires et les péripéties que ceux-ci rencontrent. L’Homme est rarement vertueux dans ce recueil, tant il est dominé par ses passions, vices et les facilités, au mépris de certains idéaux et principes pourtant affichés au départ.
Un peu comme dans le Double de Dostoïevski, Gogol croque de manière caustique le côté sombre de la bureaucratie (et oui mon cher Weber), ce petit monde des fonctionnaires où la hiérarchie est reine, les instincts de jalousie, d’ambition dominent et où l’apparat, le paraître est roi, et cela tant du côté du bas de l’échelle qu’en haut de la pyramide.
J’ai aussi été conquis par ses écrits sur le monde de l’art, dans la nouvelle le Portrait, qui révèle bien la difficulté de vivre, d’être pleinement soi dans ce milieu. Où l’on voit le jeune peintre, atypique dans son style et ses toiles, novateur même pourrait on dire qui ne parvient pas à percer et vit dans une grande promiscuité. Alors qu’il connaît la gloire en adoptant le style mainstream pourrait on dire, qui plait tant aux grands bourgeois superficiels, qui se traduit par la production de portraits idéalisés au contraire de son style plus réaliste. Il cède à la facilité, mais au bout du chemin, c’est bien une impasse qu’il rencontre pour avoir agit de la sorte. L’argent est roi dans ce monde vain.
A noter aussi des passages d’une rare « poésie », hypnotiques, comme ce début de la nouvelle la perspective Nesvky où l’auteur nous décrit, nous narre selon les heures de la journée toute la faune humaine qui passe et repasse dans ce lieu, chaque heure ayant son propre bestiaire.
Gogol, grand révélateur de l’absurdité humaine, entre cynisme et burlesque, pour un parcours semé de surprises et d’un résultat pétillant, qui nous fait frétiller les papilles. A table !
Enfin bref, pour en finir avec cette critique un peu foutraque, je veux juste dire que je conseille ce recueil à tous, et notamment aux jeunes padawans littéraires ayant quelques a priori négatifs sur l’auteur. Je n’en doute pas un seul instant, vous serez conquis …