"Nuit trouble" est le premier thriller de la collection Court Toujours aux éditions Nathan, dont je suis assidument les lectures. Leur petit format, en trois médiums, à savoir papier, numérique et audio, offre aux ados le choix de leur lecture et une histoire courte, qui plaira aussi bien aux lecteurs occasionnels, mais également aux ados ou aux adultes qui apprennent le français en langue seconde.


Alix, une adolescente qui fêtait le 16e anniversaire de sa meilleure amie, se réveille dans un coffre de bois d'un voilier. Sa marraine la libère, mais elle est dans un état étrange, et est donc plus ou moins disponible pour les sortir du pétrin. Parce que d'être en pleine mer, sans lumières, sans essence, sans téléphone et sans la moindre compétence en matière de navigation, c'est d'être dans le pétrin. Et puis...comment est-elle arrivée sur ce bateau, au fait?


Cette lecture m'aura déçu, n'étant ni addictive, ni intrigante, mais l'élément qui me reste en travers de la gorge est le manque de rigueur autours de la question de la santé mentale.


Autant y aller franchement sur l'élément qui m'a irrité tout au long de ma lecture, et il s'agit du même élément que dans ma lecture du roman de la même collection, "Mon héroïne": le traitement de la santé mentale. Ici, on nous indique que Malou, la marraine, je cite, "est "Borderline", c'est comme ça qu'on en parle dans la famille". Et là, je dois dire que ce fut pour le moins confus. Pour ce que j'en ai comprit, Malou a des "crises" de "folie" qui la font dévier dans un autre état, où elle se met à chantonner, ressasser des souvenirs ou confondre les gens. Si je me fis à ce que Alix a dit, Malou a des périodes normales entrecoupés d'états dépressifs, et ce, durant des semaines. Si je me fis à cette stricte phrase, je pense que Malou a probablement un trouble de l'humeur bipolaire. Sauf que ce trouble n'est pas ponctué de "crises de folies" du genre "bouton ouvert/éteint" comme on en voit ici et les enfants ne sont que très rarement bipolaires, parce que ce trouble se manifeste dans l'adolescence. Pourtant, quand Malou nous parle de ce "moment" avec "L'homme aux yeux de couteaux" ( un agresseur), elle avait 8 ans et se décrivait déjà avec des moments "ailleurs". Et pour ce qui est de "Borderline", le vrai, c'est une autre psychopathologie, un trouble de la personnalité cette fois, aussi appelé "Trouble de la personnalité Limite", qu'on associe généralement aux montagnes russes émotionnels qui fluctuent plusieurs fois par jours. J'ai l'impression que Malou était un mélange de TPL et de bipolaire ET de "folie" inventée - un truc qui ne semble pas exister, en fait. Bref. Ce qui me turlupine avec les histoires de maladies mentales, c'est que c'est trop souvent brouillon, que c'est trop souvent traité comme de la "folie" dans son sens populaire, alors que le discours dans le domaine de la psycho travaille à éduquer la société à ne plus considéré les personnes ayant des enjeux de santé mentale comme des "fous". Et souvent les auteur/autrice semblent ne pas avoir fait de recherches sérieuses sur les maladies mentales. J'ai donc eu beaucoup de mal à lire sans me défaire de l'impression désagréable qu'on a placé ce personnage invraisemblablement "timbré" là pour créer un suspense, sans égard pour son enjeu. Et cet état de "crise" qui ressemblait plus à une sévère gueule de bois qu'une véritable crise psychotique était peu crédible. Très Hollywood. J'ai le sentiment que la maladie mentale ou les cas psychiatriques ne devraient pas être servis de manière si légère. On court le risque de donner un message négatif entourant les gens qui vivent avec des troubles, alors qu'ils sont déjà très stigmatisés sur tous les plans. Un peu comme le monde du cinéma qui a réussi à implanté le mot "psychopathe" dans nos têtes dès qu'un homme assassine des gens dans les films comme dans la vie, alors que c'est très peu souvent lié. Je pense qu'on devrait être prudent, en choisissant de parler de ce sujet, d'être crédible et respectueux. C'est mon avis, bien sur.


Autre point qui a son importance - surtout de notre côté de l'océan- "Indien d'amérique" est une très mauvaise appellation des Nations autochtones. Je sais que ce terme semble inoffensif aux européens, mais ici, c'est un terme qu'on emploie quand on manque d'éducation sur le sujet ou qu'on veut insulter un membre des communautés autochtones. Même les vieilles lois racistes canadienne et états-uniennes employaient le terme "Indien". Bref, de préférence employer le terme "autochtone" ou "premières Nations autochtones" ou même le nom de la Nation ou de la Confédération, par exemple la Nation Mowhak de la Confédération Iroquoise. Et bien sur, je ne sous-entend pas que l'autrice se voulait offensante, elle ne le sait sans doute simplement pas.


La dimension de surprotection parentale est intéressante, ceci-dit. On en revient souvent à cette composante de l'éducation qu'est la protection, car si certains comportements parentaux laxistes ont des conséquences, les comportements protecteurs peuvent se révéler étouffants. Cela est d'autant plus vrai que par définition, un enfant et un ado grandit en se confrontant au monde, dans ce qu'elle a de doux comme de ce qu'elle a de piquant. Mais un enfant qui est sans cesse protégé peut devenir un ado craintif, méfiant ou carrément, à l'opposé, devenir rebelle et s'adonner à des comportements risqués. Ici, Alix est plutôt du genre à être méfiante et limite ses expériences pour cette raison. Son passage dans ce voilier en pleine mer sera l'occasion de prendre conscience que si on part toujours en anticipant le pire, on risque de passer à côté de certaines occasions qui contribuent à nous faire évoluer. Cette dimension du roman était intéressante, même si je constate qu'encore une fois, on en revient au même vieux impératif qui veut qu'une fille finisse en couple. Comme elle est ballerine amatrice, ç'eut été intéressant de la voir prendre des décisions en ce qui concerne sa passion, plutôt que de revenir sur cette sempiternelle rengaine de roman sentimental qui veut que le célibat est quasi honteux pour un personnage féminin. Ce n'est pas de la mauvaise foi de ma part, je constate juste un élément qui revient de manière chronique chez les personnages féminins, au contraire des personnages masculins, pour qui le couple est un bonus, pas une fin en soit. Le roman "Si tu avances", de Cathy Ytak, de la même collection, est d'ailleurs sur le sujet: Une jeune fille se prend un râteau, elle finit par réaliser que penser à soi importe aussi.


[ Attention - Divulgâche]


Côté scénario, il manque de bouts, je dirais. J'ignore toujours ce qui est arrivé exactement au personnage, mais peut-être était-ce un choix de l'autrice? Du genre: le personnage a eu un Black Out et elle ne saura sans doute pas ce qui lui est arrivé ( Parce que la seule personne qui sait est de toute manière "folle" et incapable de livrer un témoignage crédible?) C'est frustrant. Qui était ce monsieur aux yeux de couteaux que Malou a vu et qui semble être le motif de l’enlèvement de sa propre nièce - même si ce pan là non plus n'est pas clair. Pourquoi l'avoir enfermée dans le coffre? Pourquoi le bateau? Pourquoi personne ne l'a vue partir? Est-ce même possible de kidnapper quelqu'un dans un état d'ébriété/délire-partiel-pas-clair? Comment un esprit aussi mêlé peut-il pondre un scénario de kidnapping un temps soit peu cohérent? Ça n'a aucun sens pour moi. Flou, brume et trouble. Le problème, c'est que je ne pensais pas que le titre serait aussi juste, en fait. "Nuit trouble" est en effet très brumeux. C'était peut-être le but recherché, mais je suis le genre de lectrice qui apprécie les détails et les scénarios cohérents, justement. Et ici, il manque beaucoup des deux.


Alors, oui , tant mieux si Alix a eu une révélation de vie en pleins marasme existentiel, ça lui a sans doute fait du bien, mais au final, il n'y a pas de punch ni explication sur le mystère en soit. Et je crains que l'explication tienne en peu de mots: sa marraine "folle" a cru la protéger d'un agresseur potentiel - réel ou fabulé - et tout le reste découle donc d'une "crise" incompréhensible. Là encore, je déteste quand l'explication relève de la "folie" d'un personnage, parce que ça ne donne aucun indice concret - tout cela peut être une simple fabulation de la part du personnage "en crise" - et cela ramène le fait qu'il faut se méfier des personnes ayant un trouble mental, une fois encore. Parce qu'au final, la marraine est envoyée département psychiatrique et Alix a eut une illumination. Je comprend donc qu'Alix a été la victime d'un "délire" d'une marraine qui n'a pas toute sa tête et qu'il n'y avait aucune menace, finalement. Cette fin me laisse profondément perplexe. Et troublé. Oui, c'est un jeu de mots.


Je sors donc déçue, perplexe, découragée du traitement de la santé mentale dans l'histoire, qui ne devrait pas servir d'accessoires aussi légers pour pimenter une intrigue, surtout sans de réelles connaissances sur le sujet - ou au moins quelques recherches. Et cela me semble être une énième glorification du critère numéro un de la réussite adolescence féminine: le gars. Bon, j'exagère un peu, Alix a quand même comprit que vivre dans la peur n'apporte rien de très sain dans une vie, mais reste que cela se traduit surtout par "j'ai maintenant enfin le courage d'avoir un copain". Dans l’ensemble, j'en sors avec une impression de malaise. Évidement, je conçois que tous les lecteurs n'ont pas le même sens du détail ou soucis d'exactitude psychologique que moi, alors je suis curieuse de voir quel impression il aura sur les autres lecteurs et lectrices. Mais reste que même bien traité, l'histoire reste ennuyeuse et n'a même pas de punch final. Un peu dur à encaisser pour un roman vendu comme un "thriller".


Pour un lectorat du premier cycle secondaire, 13 ans+.

Shaynning

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