« Chef d’œuvre, un chef d’œuvre ! »
« Il faut que tu le lises. »
« Fabuleux, excellent », etc, etc.
Face à l’avalanche de superlatifs, je donne sa chance à ce polar franco local, carte postale de Giverny et cours d’histoire déguisé sur Monet, sa carrière, son prestige et sa postérité.
Spoils majeurs, mais vraiment.
Le gros problème, c’est que tous les lecteurs qui me l’ont conseillé m’ont vendu LE point fort du film : « un PUTAIN de TWIST qui tue. Tu verras, totalement dingue, affolant, tout ça, j’ai été bluffé, la seule chose que tu veux faire à la fin du bouquin, c’est relire pour voir comment il a réussi son coup… »
Et ben.
Donc, go.
Ça peut paraitre malhonnête et c’est facile à dire, mais je vous jure sur la tête de Georges Perec que c’est vrai : j’ai compris le twist à la PREMIERE PAGE.
Le roman en compte 493.
Ce fut donc long.
Après, soyons de bonne foi : l’idée était vraiment bonne.
Ami lecteur, afin de t’épargner, et t’ayant averti des spoils, je t’explique.
Le récit alterne entre trois personnages féminins, le long de 10 jours d’enquête sur un meurtre. Une jeune fille de 11 ans, une instit à la trentaine et une vieille, en point de vue interne qui voit tout ce beau monde et commente avec acrimonie.
Bon, on l’aura compris, il s’agit de la même personne, et l’on nous révèle très tard que les récits se passaient respectivement en 1937, 1963 et, donc, 2010. L’effet est joli, et la supercherie habile pour qui se serait laissé berner.
Le problème, c’est la méthode. Si l’on lit en guettant les coutures, comme ce fut mon cas, la malhonnêteté est assez flagrante. Pendant tout le récit, on nous fait donc croire que ces personnages cohabitent. La vieille assiste à l’enterrement du type qui s’est fait descendre en 1966, et la jeune gamine est – apparemment - dans la classe de la joli instit qui se laisse séduire par l’enquêteur. A la fin, p. 471, la vieille nous dit : « J’ai peuplé de mes fantômes ces endroits où j’ai toujours vécu, devant chaque lieu où je suis passée, je me suis souvenue… ».
Pour que l’illusion fonctionne, un premier artifice, celui d’un chien, Neptune, avec lequel interagissent tous les personnages et nous « prouvant » qu’ils appartiennent au même chronotope. Evidemment, la vieille en a eu 5 qu’elle a tous appelés du même non, d’accord.
Mais ce qui me chiffonne, c’est cet extrait entre tant d’autres possibles, p. 403.
Nous sommes dans une scène de classe avec Fanette.
« Stéphanie Dupain se retourne vers ses élèves.
- Fanette, dit l’institutrice. Qu’est-ce que tu fais debout ? Tu retournes immédiatement t’asseoir à ta place ! ».
Donc, là, la justification est la suivante : Stéphanie, qui est institutrice en 1966, est un souvenir de la vielle narratrice de 2010, et à la ligne suivante, l’institutrice est celle de Fanette, à savoir Stéphanie en 1937.
Désolé, mais non. On pourra me parler des fantômes de la mémoire, moi, j’appelle ça de la grosse couture bien foireuse, un mensonge qui s’oubliera dans le flot du récit et puis tant pis.
Après, je vous passerai le reste du roman. Une enquête policière bien pourrie puisque la résolution n’est pas à savourer sur le who dunnit mais sur la temporalité trompeuse, une intrigue sentimentale à la Musso (oui, franchement, le flic et la femme du suspect, les yeux mauves dans lesquels on se noie, tout ça), des effets de styles atroce (les pensées de la petite fille superposées en italique au récit) et cette fâcheuse tendance à se dire qu’un polar, c’est pris au sérieux s’il atteint les 500 pages. Soit, au bas mot, 200 de trop.
Bref. Encore un échec, j’ai décidément du mal avec le XXIème siècle.