Olas
Olas

livre de Maria Carla (2022)

Incontournable Août 2022



Une autre œuvre vient de s'ajouter à la sympathique famille Léméac Jeunesse, qui nous offre des romans en petits formats de poche dès le départ, ce qui les rendent beaucoup plus accessibles et une fois encore, je reconnais son emprunte pertinente. Dans "Olas" ( Vague en espagnol), nous abordons les plages paradisiaques d'un pays qui l'est beaucoup moins vu de l'intérieur, Cuba.



Talia aura vécu toute son enfance dans l'attente et la préparation d'un seul jour: celui de sa quinceañera, cette fête très importante pour les jeunes filles dans le monde latino-hispanique, célébrée en grande pompe le jour de leur quinzième année de vie. À cette occasion, elles se métamorphosent, le temps d'une journée, en véritable princesses, robe, danse et célébrations incluses. Mais une fois ce jour passé, Talia connait une lente, mais inéluctable prise de conscience. Son pays a beau procéder une culture riche, des gens dévoués et une île assidument fréquenté de touristes venus s'y gorger de soleil et de paysages bucoliques, le fait est que c'est aussi un pays rongé par la privation matérielle, par les contraintes gouvernementales, par un système médical sur le bord de l'implosion, lui aussi salement privatisé, et un embargo américain qui empêche le pays de respirer. Les médecins comme les professeurs, gagnent moins en salaire que les travailleurs des "resorts" pour touristes, qui monopolisent les plus belles plages. On envoie hors du pays les médecins pour rependre la bienfaisance du Parti Communiste cubain, mais au détriment des cubains eux-même. Les exemples pleuvent pour illustrer la détresse du pays. Talia prend conscience de sa présence, des solutions de moins en moins viables pour y remédier, de l'iniquité sociale qui se creuse. Elle réalise aussi que nombre de ses souhaits ne sont pas réalisables. Les richesse de son pays servent des intérêts politiques totalitaires et des pays étrangers. Que reste-t-il pour les cubains? Même son choix de conjoint est lié aux avantages alimentaires qu'elle en retire. Même le choix des sujets de ses tableaux sont liés au fait de rassembler l'argent nécessaire à la survie de sa famille. Quel espoir reste-t-il à la jeunesse affamée de liberté et de projets?



Au-delà de la strict idéologie communiste, considérée comme le système à abattre par les tenants de l'idéologie capitaliste ( les pays occidentaux pour la plupart), il s'agit surtout de considérer les éléments délétères d'un système totalitaire, qu'importe s'il est de gauche ou de droite, empêchant une majeur partie de sa population de vivre pleinement. Que ce soit le système de santé gravement carencé, l'iniquité majeure entre les groupes sociaux et la mainmise quasi totale sur les ressources matérielles, humaines et alimentaires par l'État, le fait est que le système étouffe ses membres sur les besoins de base. Comment espérer alors qu'un pays innove, évolue ou grandisse, si les gens en sont encore à trimer pour ne pas mourir de faim? Ce qui marque, je trouve, est que si certaines dystopies purement fictives choquent, nous n'avons collectivement guère de conscience des pays qui sont d'ores et déjà des "dystopies". Cuba a en outre un enjeu majeur, celui de l'embargo commercial posé par les américains, qui existe depuis 1963. Parfois assoupli, parfois renforcé, il est donc toujours en vigueur et ce ne sont pas simplement les dictateurs de Cuba qui en paie les frais, mais bien la population, beaucoup plus sévèrement. Un peu comme ce sera le cas en Russie.



Un élément particulièrement similaire à la Russie , justement, est l'énorme différence entre ce que les habitants savent et ce que les pays extérieurs savent, cette espèce de schizophrénie à grande échelle. Pour l'extérieur, Cuba est un exemple sur bien des niveaux, avec sa gratuité scolaire, ses médecins sans frontière qui œuvre dans les pays pauvres. Mais à l'intérieur, c'est un lutte sociale qui essaie de croire en ce Cuba que les autres pays voit.



Il est intéressant de regarder Cuba par les yeux d'une adolescente, qui aime son pays, mais se sent incapable de croitre sainement dans le contexte qui est celui de sa nation, telle une plante vigoureuse dans un pot trop petit. Un pays tout en paradoxes, qui ressemble au Tiers-Monde malgré la scolarisation gratuite et les nombreux médecins produits par le pays. Un pays étouffé dont les dirigeants étouffent leurs citoyens. la "Loi du plus fort", pour citer un des personnages. À travers les images et les jolies comparaisons de Talia, c'est un Cuba fragile dont les piliers semblent tenir par la peur qui se peint devant nous. Un pays dans lequel il faut avoir les bons contacts, tenir sa langue en suivant la ligne du parti et où la propriété privée est pratiquement impossible à avoir. Un pays dans lequel on encourage les jeunes filles à rêver du prince charmant, pour masquer le fait qu'elles ne devraient surtout pas rêver de plus. Un pays qui, comme plusieurs autres dans le monde, compte ses noyers par millier, car nombreux sont deux et celles qui ont prit le risque d'affronter la mer, dans l'espoir d'atteindre les États-Unis et avoir une meilleure vie. Ironie, s'il en est, que ce soit le même pays qui a placé Cuba dans un étau.



C'est le cri du cœur d'une jeune femme qui aurait aimé ne pas devoir quitter la terre qu'elle chérissait, et ses gens qu'elle aimait, mais pour qui une vie emprisonnée était inenvisageable. Un cri partagé par l'amour de sa vie, Ulises, avec qui elle tentera l'impossible: quitter Cuba, atteindre les États-Unis, tout laisser derrière et repartir de zéro. Un sort que connaissent des millions de gens du part le monde, chaque jours et qui ne se termine pas toujours bien. C'est donc une fenêtre essentielle, surtout pour nos jeunes, nos futurs citoyens, pour prendre acte des iniquités colossales entre les pays et l'importance de la bienveillance et de l’empathie des pays nantis à leur endroit. Certains pays sont les prisonniers de leur propre gouvernement, qui au nom d'idéologies extrêmes, parviennent à assouvir leur soif de pouvoir et de richesses.



C'est une narration à la première personne, en cinq morceaux dépourvus de chapitres. Elle a un rythme atypique, la présence d'éléments quasi magiques, puisque que l'imaginaire reste le dernier rempart au cynisme pour Talia. D'abord adolescente rêveuse et passive, elle se transforme en jeune femme déterminée et à la conscience aiguë. Certains de ses proches refusent de faire face à cette réalité qu'elle parvient à voir progressivement. Nombre des personnages sont donc quelque part en déni total et résignation rageuse. Ils nous offre le spectre d'une population divisée, qui ont la crainte de perdre leurs rares privilèges ou leurs besoins de base, alors que des abus sont perpétrés contre le pays, parfois par les touristes eux-même, qui font rouler l'économie beaucoup plus qu'ils le croit. La narratrice nous donne aussi bien l'aperçu de ce qui se passe autours d'elle que ce qui croit en elle. Un récit poignant et pourtant poétique, où l'espagnol est présent, merci au lexique de nous en faire les traductions et précisions.



Enfin, vous trouverez des notes de l'autrice, jeune cubaine qui a immigré ici, au Québec, et qui nous offre cette histoire du haut de ses vingt ans, dans la langue de son pays d’accueil. Elle nous livre certains chiffres accablants de son pays, notamment l'exode dangereux qui se poursuit pour les cubains qui affronte la mer. Cuba nous semble, par sa plume, avoir une grande beauté, mais hélas de grosses lacunes politiques. En raison des québecois qui sont très nombreux à profiter des tarifs réduits pour s'offrir un voyage dans un endroit exotique, je trouve là une pertinence supplémentaire à se familiariser avec ce pays. Et aux ados occidentaux, pour qui s'exprimer, choisir et espérer sont possibles, de se rendre compte que ce sont là des privilèges dont ne jouissent que peu d'entre eux, dans le monde.



Pour un lectorat à parti du premier cycle secondaire, 13 ans+.

Shaynning

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