Le livre "Orages d'acier" est en fait un journal intime de la Première Guerre mondiale, écrit par Ernst Jünger, alors jeune officier allemand. Vu l'omniprésence de l'artillerie dans ce récit (Ex : obus, shrapnels), on comprend que le titre est déjà très bien choisi.
Cet ouvrage permet de s'immerger sans difficulté dans le quotidien de la Première Guerre mondiale, et ce sous bien des aspects (Ex : combats, vie dans les tranchées, permissions, camaraderie, anecdotes). Il témoigne également d'une indéniable lucidité sur les caractéristiques de cette guerre : la chance ou la malchance décide bien souvent à la place des hommes (Jünger lui-même sera blessé 14 fois et aurait tout à fait pu y rester), les ennemis sont en fait des semblables se trouvant simplement dans le camp d'en face, toute attaque est généralement précédée d'un pilonnage (généralement à l'artillerie, parfois avec des grenades), les blessés et les morts en sont d'autant plus nombreux, les accidents ne sont pas rares (Ex : allié pris pour un ennemi, artillerie mal réglée, prise de risque inconsidérée), et l'armée allemande est finalement défaite par manque de moyens (ce qui contredit la légende du "coup de poignard dans le dos", qui aurait été infligé par le pouvoir civil). De façon anecdotique, est par ailleurs évoquée l'émergence des chars d'assaut et des avions, ainsi que l'arrivée corrélative de la grippe espagnole.
Reste que deux choses sont (très) dérangeantes dans ce récit :
-> L'une tient au contexte : le récit prend immédiatement place pendant la guerre, sans évoquer, à aucun moment, ce qui l'a précédée (et en particulier ce qui l'a déclenchée) ou ce qui la suivra. Les raisons et les suites de la guerre semblent donc purement secondaires, et malgré toute son horreur, qui dégouline pourtant à chaque nouvelle page, l'auteur questionne à peine le bien-fondé du conflit, semblant simplement considérer que combattre est son devoir
-> L'autre tient à l'action : tout en n'étant pas dénué d'humanité, Ernst Jünger semble en effet prendre un certain plaisir à la guerre, et recherche manifestement une gloire personnelle (matérialisée en particulier par des médailles), ce qui l'amène à prendre des risques. Au fil du récit, on s'aperçoit qu'il a en réalité une double nature : il éprouve de l'émotion lors des combats, mais fait une description étonnamment neutre des blessés et des morts ; il prend soin de ses hommes, mais n'hésite pas à menacer ceux qui fuiraient un combat meurtrier ou à abandonner un blessé qu'il estime perdu ; il se désole un temps de ne pas pouvoir abattre davantage d'ennemis, mais est capable d'en épargner d'autres par la suite ; il regrette de perdre progressivement ses compagnons, mais veut ardemment continuer le combat.
Au final, cela donne l'étrange impression qu'Ernst Jünger considère la guerre comme une compétition sportive, dont les morts et les blessés ne seraient que la contrepartie. Plusieurs passages situés à la fin du récit sont à cet égard éloquents : l'idée que la guerre est perdue, mais qu'il faut la poursuivre pour montrer son "esprit viril" à l'adversaire ; les exhortations d'Ernst Jünger à continuer le combat alors que la troupe est encerclée et que plusieurs de ses compatriotes appellent au contraire à se rendre ; et surtout la dernière phrase du livre, consacrée à la prestigieuse médaille qu'il reçoit (la croix pour le Mérite) pendant qu'il est soigné, alors qu'un de ses compagnons venait de se sacrifier pour l'aider sur le champ de bataille, le sauvant peut-être du même coup.