L'assertion selon laquelle Orages d'acier d'Ernst Junger constitue un authentique chef d'oeuvre est difficile à admettre. Exigeant, le livre l'est sur plus d'un point. D'abord, c'est stylistiquement audacieux de parler de la guerre de 14-18 sans une certaine émotion, qui plus est depuis la perspective allemande, en tant que lecteur francais. Même si tout cette histoire est derrière nous, il reste un certain traumatisme palpable dans les relations franco-allemandes (trois guerres en moins d'un siècle). Ensuite, les partis pris font le choix d'esthétiser l'expérience de la guerre. Ils ne seront pas du goût de n'importe qui. Mais ne jouons pas les moralisateurs hypocrites, une certaine fascination s'exerce devant la démence collective dont on jubile un peu. Les lecteurs désireux d'expériences littéraires "choc" glisseront sur la prose autiste de Jünger, se heurteront assez souvent, reconnaissons-le, à sa rigueur formelle, interrompant brusquement leur lecture sous le déluge de flamme et d'acier qui compose cette débauche orgiaque et poétique pretextée par le thème. Avec cette sensation tenace qu'on assiste à un enchaînement de mots traduisant la brutalité et la folie meurtrière, sans forcément trouver de sens à tout ça et sans en avoir nécessairement besoin. Cela consiste en une démarche en soi mais qui laissera certains de marbre.