Prenez une profonde inspiration.
Certaines odeurs sont difficiles à supporter. Les pages du roman d'Eugene Marten suggérant un fumet doucereux, comme le mélange improbable de produits ménagers et de chairs en décomposition, vous serez tenté, au moment de vous y plonger, de vous boucher le nez. Mais si, par curiosité, vous laissez l'air pénétrer vos poumons, vous vous surprendrez à y prendre goût.
Ne retenez pas votre souffle, laissez-vous aller.
Prenez une profonde inspiration et accompagnez Sloper d'un étage à l'autre. Il pousse son charriot dans un immeuble de bureaux, à l'heure où seuls les gens anonymes, agents d'entretiens ou personnel de sécurité, arpentent les couloirs. Il passe l'aspirateur, lave les vitres, brosse la moquette. Et entre deux corbeilles vidées, il mange les restes abandonnés et se masturbe dans les chaussures des employées. Puis il rentre finir son tour de cadran chez sa mère, dont il occupe la cave. Puis recommence.
Sloper est imperceptible. Vous l'avez peut-être déjà croisé mais certainement jamais vu. Il ne parle pas. Dans le meilleur des cas, il échange quelques rares paroles avec des gens de son espèce. Il est solitaire, invisible, enfermé dans la routine insipide imposée par une société fataliste qui n'a aucun scrupule à abandonner certains de se citoyens dans les recoins obscurs. Mais ça lui va bien. C'est l'employé du mois. C'est sa vie. C'est sa cave. Et, ce jour-là, dans la poubelle, c'est sa trouvaille. À lui.
Alors cet homme, un peu étrange mais finalement ordinaire jusque dans ses bizarreries les moins avouables, entre dans sa phase de chrysalide. Qu'en sort-il ? Quelque chose de superbement organique qui vous transporte dans une dimension atroce mais jouissive, dépouillée à l'excès et décousue au possible, à la narration elliptique, fragmentaire et minimaliste. Et sans même vous en être rendu compte, vous aurez lu ce court roman d'une traite, oubliant presque de respirer.
Alors prenez une profonde inspiration. Sloper vous attend.
Touchez mon blog, Monseigneur...