Orwell
7.8
Orwell

livre de Simon Leys (1984)

Orwell, toujours indémodable.....

Bonjour à tous,


Aujotd' hui, Orwell se rappelle à mon bon souvenir. Qui est George Orwell, derrière le mythe ? De George Orwell, le lecteur français connaît surtout le prophétique 1981, terrifiante description de la société totalitaire, et La Ferme des animaux, une satire féroce du monde soviétique. Pourtant, la vie et le travail du romancier britannique, mort en 1950, ne sauraient se résumer à ces deux chefs-d'oeuvre, aussi visionnaires soient-ils. Auteur prolifique, journaliste talentueux, militant jusqu'au bout, Orwell de sort vrai nom Eric Blair est une figure admirable et lucide. Armé d'un socialisme débarrassé "de ses hypocrisies, de ses lâchetés et de ses sottises", il a mené une lutte inlassable contre le totalitarisme. Et chez Orwell, les écrits sont cautionnés par les actes. Toute sa vie fut une quête tendue vers cet "idéal d'un homme déterminé à tout prix à énoncer des vérités pas bonnes à dire". Dans ce petit essai, initialement publié pour saluer la date orwellienne de 1981, Simon Leys décortique la théorie politique de cet écrivain majeur et tord le cou à un certain nombre d'idées reçues. En décryptant la double vocation d'Orwell ("écrivain politique"), il dessine en creux son autoportrait, celui d'un homme discret qui adhère à son oeuvre à chaque instant de son existence.


"Depuis la guerre d'Espagne, je ne puis pas dire honnêtement que j'ai fait grand chose, sauf écrire des livres, élever des poules et cultiver des légumes"...


Voilà une phrase qui résume admirablement bien le personnage d'Eric Blair, alias George Orwell, son courage, son intelligence, sa modestie et son humour. Ecrivain britannique (1903-1950) qui aura marqué son temps, il restera l'une des grandes voix de la littérature du XXème siècle. Dans "un classement des 50 auteurs préférés des auteurs", établi en 2010 par la maison d'édition Penguin, Orwell arrive encore largement en tête, preuve s'il en est de son influence sur ses contemporains et les générations suivantes jusqu'à aujourd'hui.


Dans ce petit essai paru pour la première fois en 1984 (on se demande bien pourquoi ?...) et réédité dans une version mise à jour en 2006, Simon Leys nous raconte à sa manière la vie et l'oeuvre de l'écrivain. Il nous dévoile notamment comment, au fil de ses expériences, Eric Blair est-il progressivement devenu George Orwell, son double littéraire. S'il s'inspire beaucoup de la biographie de référence de Bernard Crick George Orwell, une vie, c'est uniquement pour la mettre en perspective en la complétant par des remarques personnelles et des témoignages inédits de proches, souvent tirés d'ouvrages non traduits en français.


L'un des passages les plus intéressants du livre a trait à l'enfance de l'écrivain. Simon Leys explique comment les années d'internat, mal vécues, du jeune Blair auront une influence déterminante sur sa personnalité et, par extension, sur son oeuvre littéraire. Le sentiment d'abandon très profond et de culpabilité qu'il ressentira au cours de ces six années forgeront chez lui une dureté de caractère en même temps qu'un sentiment d'échec pouvant aller jusqu'au désir d'autopunition. Il en ressortira avec "une révolte instinctive contre toute autorité établie" et une détestation de l'injustice sous toutes ses formes, "l'amenant ainsi à épouser, en toute circonstance, la cause des pauvres, des faibles et des opprimés". J'y ajouterai, à titre personnel, une aversion irréversible envers le catholicisme, utilisé comme outil d'endoctrinement et de mystification. Orwell éprouvait également un sentiment violent de répulsion à l'égard du catholicisme, mais certainement pour des raisons différentes, car je doute qu'il fut jamais pensionnaire d'une institution catholique....


Ceci dit, et selon l'avis de Simon Leys, "c'est sans doute dans l'internat de son enfance qu'Orwell trouva le premier embryon microscopique de ce qui allait devenir la peinture de la vie quotidienne sous Big Brother". Comme l'écrivain l'avoua lui même un jour à son ami Tosco Fyvel "Les souffrances d'un enfant inadapté dans un internat sont peut-être le seul équivalent qu'on puisse trouver en Angleterre de l'isolement qu'éprouve un individu dissident dans une société totalitaire". Pour ceux qui l'ont vécu, cela ne fait aucun doute...


Cet essai court (88 pages), mais remarquable, est complété par trois annexes : une première annexe regroupant des citations et extraits de textes d'Orwell sous la forme d'un abécédaire, une seconde annexe reprenant une lettre inédite d'Evelyn Waugh adressée à l'écrivain le 17/07/1949 à propos de 1984 et la dernière faisant état, pour la réfuter, de l'accusation portée contre Orwell, selon laquelle il aurait été un indicateur de la police, dénonçant des intellectuels communistes aux autorités anglaises...


La thèse de Leys est limpide : Orwell, que l’on réduit trop souvent au célèbre (mais souvent mal lu) 1984, selon la formule de son meilleur biographe, Crick (dont il s’inspire énormément), « plaidait pour qu’on accorde la priorité au politique, c’était seulement afin de mieux protéger les valeurs non politiques ». Leys développe cette idée avec un rien d’humour :


« En un sens, quand il s’appliquait à planter des choux, à nourrir sa chèvre et à maladroitement bricoler de branlantes étagères, ce n’était pas seulement pour le plaisir, mais aussi pour le principe ; de même, quand, collaborant à un périodique de la gauche bien-pensante, il gaspillait de façon provocante un précieux espace qui aurait dû être tout entier consacré aux graves problèmes de la lutte des classes, en dissertant de pêche à la ligne ou des mœurs du crapaud ordinaire, il ne cédait pas à une recherche gratuite d’originalité – il voulait délibérément choquer ses lecteurs et leur rappeler que, dans l’ordre normal des priorités, il faudrait quand même que le frivole et l’éternel passent avant le politique. »


Un peu plus loin, Leys use d’une formule aussi lapidaire qu’à rendre obligatoire à l’heure où l’éducation à la « citoyenneté » passe avant toute considération civique, avant la « common decency » chère à Orwell : « Si la politique doit mobiliser notre attention, c’est à la façon d’un chien enragé qui vous sautera à la gorge si vous cessez un instant de le tenir à l’œil. »


On le comprend très vite, dès les premières pages de cet essai : Leys admire la pensée d’Orwell et plus encore la façon dont cette pensée se développe, malgré la « brutalité intellectuelle » revendiquée par Orwell lui-même. Après lecture de l’ensemble de l’œuvre d’Orwell, aussi bien ses romans (pour lesquels Leys confesse n’avoir pas grande admiration, mis à part Un peu d’Air Frais, se demandant même si on rééditerait encore Et Vive l’Aspidistra ! ou Une Fille de Pasteur s’ils n’étaient signés Orwell – la réponse serait plus que probablement négative…) que ses essais ou sa correspondance (où il puise une citation très éclairante, ajoutée en annexe de la présente édition : « La vraie distinction n’est pas entre conservateurs et révolutionnaires mais entre les partisans de l’autorité et les partisans de la liberté. », distinction toujours à effectuer aujourd’hui…), Leys a ni plus ni moins que remis l’église au milieu du village concernant le rapport d’Orwell, insistant sur l’aspect concret de ce rapport : « Les eunuques qui prêchent la chasteté ne sont guère convaincants. Inversement, ce qui conférait aux croisades d’Orwell leur singulière force de persuasion, c’est ce sentiment qu’il avait lui-même connu, vécu et compris de l’intérieur ce qu’il attaquait : très littéralement, et à la différence de la plupart des gauchistes orthodoxes, il savait de quoi il parlait. »


Pour arriver à cette conclusion, Leys rappelle tout simplement la biographie d’Orwell, insistant sur son passage par l’internat (matrice du totalitarisme, à l’en croire) puis la Birmanie, et montrant en quoi le passage par l’Espagne fut fondateur, fut une expérience centrale pour celui qui va au passage, avec Hommage à la Catalogne puis Le Quai de Wigan, inventer une méthode largement reprise depuis : « la transmutation du journalisme en art, la recréation du réel sous le déguisement d’un reportage objectif, minutieusement attaché aux faits », ce qui en dit long sur son talent littéraire effectif. Ces deux expériences, Espagne et Wigan, font attacher définitivement Orwell à la cause socialiste, mais son socialisme est plus ou moins irrécupérable aujourd’hui, tant par des socialistes gestionnaires de l’ultra-libéralisme que par la « nouvelle droite » américaine (qui ne se fit pas faute d’essayer, comme le rappelle Leys), tant il s’ancre dans une confrontation « dure » au réel.


Après avoir billamment confronté le lecteur à la pensée d’Orwell et à sa sage grandeur (et avoir incité au passage à aller plus loin : après la lecture de l’essai de Leys, on a envie de lire ceux d’Orwell, comme si Leys avait eu comme volonté première, et tout à fait honorable, d’ouvrir une porte à ses lecteurs), Leys conclut d’une façon parfaite par une formule toujours valable en 2015 : « aujourd’hui, je ne vois pas qu’il existe un seul écrivain dont l’œuvre pourrait nous être d’un usage pratique plus urgent et plus immédiat ». Pour appuyer cette opinion, citons Orwell lui-même, un bref extrait de ses essais proposé parmi d’autres en annexe de celui de Leys :


« L’argument selon lequel il ne faudrait pas dire certaines vérités, car cela « ferait le jeu de » telle ou telle force sinistre est malhonnête, en ce sens que les gens n’y ont recours que lorsque cela leur convient personnellement (…). Sous-jacent à cet argument, se trouve habituellement le désir de faire de la propagande pour quelque intérêt partisan, et de museler les critiques en les accusant d’être « objectivement » réactionnaires. C’est une manœuvre tentante, et je l’ai moi-même utilisée plus d’une fois, mais c’est malhonnête. Je crois qu’on serait moins tenté d’y avoir recours si on se rappelait que les avantages d’un mensonge sont toujours éphémères. Supprimer ou colorer la vérité semble si souvent un devoir positif ! Et cependant tout progrès authentique ne peut survenir que grâce à un accroissement de l’information, ce qui requiert une constante destruction des mythes. »


Pas mieux.


Lisez ce petit essai. Très instructif, et intéressant. Ami lecteur, je te salue bien bas. Tcho. Portez vous bien. @ +.

ClementLeroy
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le 15 mai 2015

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San  Bardamu

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