Il existait plus d'une manière de se sentir seule

Où vivaient les gens heureux, le titre de ce roman de Joyce Menard, fait référence à une ferme. La ferme qu'Eleanor a acheté pour y faire vivre son rêve, celui d'y créer une famille ; chose qu'elle n'a pas pu avoir elle même, ses parents étant décédés quand elle était adolescente (et l'ayant peu côtoyée avant ça). Eleanor a en partie réussi à atteindre son objectif, c'est l'objet du début du livre, de sa rencontre avec Cam, de comment ils investissent cette ferme, de leurs enfants, de sa tentative de les élever en les préservant de tout malheurs.

Voulant leur montrer qu'ils sont ce qu'elle a de plus cher, que son amour est infini. Et parfois infiniment trop grand.

 Savoir que pour leur mère ils représentaient ce qui comptait le plus dans sa vie pesait trop lourd sur eux trois 

Car, comme l'imparfait du titre en français le laisse deviner, le bonheur va finir par s'effilocher, malgré les efforts de la narratrice pour le conserver, faisant toujours le choix de ce qui lui semble le plus juste pour préserver le bonheur de sa famille, parfois (souvent) au détriment du sien.

Le livre est écrit de manière très agréable, découpé en 100 chapitres, assez court pour la plupart. Chacun se focalisant sur une anecdote qui nous permet de comprendre comment cette famille s'imagine d'abord dans la tête des 2 parents, puis comment elle se concrétise dans les 3 enfants (Al, Ursula puis Toby), comment le quotidien se déploie dans cette famille et comment Eleanor cherche infiniment à faire que ce quotidien soit ce qui est pour elle la perfection : l'absence absolue de la moindre imperfection.

Au final, c'est un roman qui semble écrit pour montrer l'utopie qu'est l'objectif de vouloir être « une bonne mère ». C'est un roman qui sous ses airs légers peut être très plombant. On a envie de secouer Eleanor, de lui dire qu'elle est incroyable et que ce qui fait d'elle une bonne mère, c'est tout ce qu'elle pense rater. Et on a aussi envie de secouer toute cette société où elle évolue, parce que chaque choix qu'elle fait est parfaitement compréhensible, et qu'elle paye le prix du patriarcat, le prix d'être une femme autonome et libre et le prix d'une société qui refuse qu'on puisse être une bonne mère, une bonne épouse, une bonne femme et encore moins tout ça à la fois. On a envie de crier sur ces enfants qui finissent par être ingrat avec leur mère et en même temps on comprend leur colère. On a envie de secouer Cam de lui faire prendre conscience de la chance qu'il a et en même temps de le soutenir face à une certaine colère sourde d'Eleanor et à son absence de dialogue avec lui.


Bref, sous ses airs légers, où vivaient les gens heureux est une fresque très réaliste et très complexe de ce que peut être une famille, une mère, un père, des enfants, un mariage, une vie.


Je pourrais lui trouver quelques faiblesses malgré tout : certaines longueurs et redondances sur certains thèmes abordés ; une volonté de vouloir brasser trop de thématiques et de n'aller au bout que de trop peu d'entre elles.


Mais ça ne suffit pas à entacher l'impression globale que ce roman était une superbe fresque sur la vie de famille, et l'importance du pardon

 Al, Ursula et Toby, une petite tribu qui allait et venait tant bien que mal entre la ferme où tous trois étaient née, occupée par leur père heureux, insouciant et la maison habitée par leur mère en colère et pleine de ressentiment .

La post face de l'auteure, justement sur cette thématique du pardon apporte un éclairage intéressant sur le livre et mérite de ne pas être oubliée quand on arrive à la fin du récit.

Homegas
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le 1 oct. 2022

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