Papa
Papa

livre de Hélène Delforge (2023)

Incontournable Avril 2023


Comme j'ai été émue par ce magnifique album, véritable ode aux pères et au rôle de papa, encore trop souvent relégué au second plan ou considéré dans son axe de pourvoyeur et punisseur. Ici, on célèbre, avec une délicatesse et une poésie attendrissante, la diversité aussi bien ethnique que sociale du rôle paternel, avec le même format et les superbes illustrations de Quentin Gréban que nous avions retrouvées dans "Maman", l'album complémentaire de celui-ci.


Alternant une page texte sertie d'une petite illustration au trait de plomb au bas de la page et une pleine page illustrée en aquarelle ou crayon à base d'alcool, l'album grand format offre autant de quoi ravir les yeux que l'âme, avec une histoire par deux pages, tel un recueil. Je me faisait la réflexion que ce genre de livre, qui offre autant de pertinence, de beauté et de textes sublimes, franchement, ça ne se voit pas souvent. Des albums comme ça, j'en croise un ou deux par année.


Vous serez transportés dans divers époques, dans divers pays, avec divers sorte de papas, ou pas. Nous croiserons aussi un oncle. Chacun a son histoire, certains particulièrement adorables, d'autres poignantes. En voici quelque unes pour vous faire une idée:


Un papa dont j'ai adoré l'histoire est celui qui porte un oreiller sous sa chemise, comme s'il portai un enfant. Ce papa nous parle de la définition du dictionnaire: "Père: homme qui a engendré ou a adopté un ou plusieurs enfants. Contraire: Mère". Une définition si froide qu'elle en est dérangeante. Le rôle du père n'est-il pas bien plus subjectif que ça? Bien plus complexe aussi? Et que penser de son antonyme supposé, ce "contraire" que serait la mère? Je dois avouer que ce personnage et moi sommes sur la même longueur d'onde: Le papa n'est pas un contraire, plutôt un "complémentaire", "des complices, des compères, des compagnons de galère", comme il le formule si bien. J'ajouterai que cette vision vaut aussi pour les parents de même sexe. Des "parents", en binôme, c'est une équipe, avec le rôle le plus complexe et le moins évident à définir qui soit. Dans certaine culture, on parle même de plusieurs parents, même. Bref, j'adore qu'ici, on sorte de la stricte définition, surtout celle qui prétend diviser le rôle maternel du paternel, avec des tâches également divisées: "Maman cuisine, Papa bricole, Maman console, Papa gronde". C'est faux, il n'y a rien de biologique dans ces rôles, ce sont de constructions sociales et elles sont bien plus liées aux besoins de l'équipe de parents que de gênes exprimées. Les rôles, on en parle de plus en plus, sont interchangeables, variables. Ils s'expriment avec la personnalité du parent, non pas son genre. Ainsi, une maman peut être celle qui préfère pourvoir à la famille, préférer explorer et se chamailler avec les enfants, tandis que le père peut être celui qui préfère consoler, réconforter et rester au foyer. Il n'y a pas de modèle parfait, juste une pluralité de façons de faire. Dès lors que les besoins de l'enfant sont comblés ( sécurité, alimentation, affection, hygiène, scolarité, etc), tous les modèles se valent.


Une autres histoire qui m'a touchée est celle du soldat, loin de sa famille, parti en guerre pour sauver des papas et des enfants. "Parce que j'aimerais qu'un papa ou une maman protège mes enfants s'ils étaient seuls et que des bombes tombaient sur ma maison. Je ne suis pas le papa du bébé dans les décombres. Mais il est le frère de mes enfants. Et son père est mon frère. Il faut des papas pour défendre les petits d'Homme. Difficile de ne pas penser à l'Ukraine, à la Somalie, à l'Iran, au Soudan, tout récemment, à tous ces pays où des conflits coutent des vies. La guerre est une absurdité malheureusement aussi âgée que l'humanité, mais quand je pense à se soldats qui choisissent cette vocation pour des raisons humanitaires, je me dis qu'il reste de l'espoir pour notre espèce. Quand je pense aux hommes capables d'empathie, je me dis que nous avons au moins un remède à la stupidité et la haine. Optimiste idéaliste Peut-être bien. Il en faut, pas vrai? Comme ce soldat.


L'histoire ce monsieur indien qui nous parle de ce qu'il fera avec son fils quand il sera papa, alors que par la suite, il nous révèle qu'il a une fille, était superbe. On réalise que pratiquement tout ce qu'il souhaitait faire avec son fils, il l'a fait avec sa fille. Elle a d'ailleurs beaucoup de forces et d'intelligence. Elle n'aime pas les poupées, bat son père aux échecs, adore les bulles et les arcs-en-ciel. Elle sait manifester son désaccord. "Elle a tant de projets avec moi". Oui, "avec" et non pas "pour" moi. Le partage, l'équité, la complicité, sont autant de choses fondamentales dans les relations interpersonnelles - selon moi. Mais surtout, les enfants ne naissent pas "genrés", du moins pas au sens où on l'entends. Je reviens souvent à l'exemple des compagnies qui ont créer de toute pièces les "genres" aux objets, responsables en grande partie du rose, poupée et robes en dentelles des filles, des camions, du bleu et des sports pour les garçons. Rien n,empêche les enfants d'aimer ces choses, mais jamais on ne devrait leur interdire d'aimer une chose du fait de leur genre. Ici, on a un papa équitable et juste, qui a simplement fait avec sa fille ce qu'il avait envie d'expérimenter avec sa fille, et tellement plus! Des papas féministes ( qui croient à l'égalité homme-femme), je trouve que ça porte beaucoup d'espoir pour l'avenir.


À titre de libraire, l'histoire du papa conteur m'a beaucoup fait rire. Ce papa et sa fille se raconte une histoire qui débute avec "Pinocchio", mais qui n'a finalement rien du conte classique, car il est détourné encore et encore avec d'autres contes et des histoires. Les histoires sont "vivantes", elles bougent et se modifient au grée des conteurs et des époques. C'était particulièrement vrai au temps des contes de tradition orale. C'est aussi particulièrement vrai avec l'imaginaire des enfants. Les histoires constituent un terreau fertile pour laisser la créativité se manifester et l'esprit des enfants croitre. Tous les enfants mériteraient de de faire raconter des histoires. Par leur parents, si possible, car il s'agit aussi de formidables moments de partage et de complicité entre membres de famille, ou par des acteurs du livre, qui sont des compléments toujours très enthousiastes!


Un papa qui devait parcourir les routes pour faire du rock, mais qui fera un "bout de chemin" avec son fils plutôt. Un oncle qui n'est pas devenu papa, mais adore son rôle. Un papa en garde partagé, qui reconsidère la vie depuis qu'il n'a plus que la moitié du temps avec ses enfants. Un papa violoncelliste qui joue de son archet pour son enfant malade, et sublime sa musique du même coup. Un papa qui s'étonne de n'avoir prit"que 20 ans" avec sa fille, parce qu'il trouve ça franchement court. Un papa mongol d'une lignée de dresseur d'oiseaux de proie qui trouve le choix de son fils songé, alors qu'il a choisi un petit oiseau bleu: "Il faut du courage aux petits oiseaux bleus de chanter parmi les rapaces, mon chéri".


Des papas tendres, patients, un peu inquiets, étonnés, émerveillés, attentifs, attentionnés, disponibles, aimants, émus, chaleureux, entiers. Nous sommes loin des modèles véhiculés dans la culture, de manière générale. Ici, je trouve enfin des papas qui sont aussi paternels que peuvent être maternelles les mères. Je trouve des papas qui sont capables d'amour et de tendresse, pas des papas qui ne sont que discipline, masculinité toxique et fiers de leurs garçons uniquement. Bien sur qu'ils ne sont pas tous comme ça, mais c,est justement ce qui me narguait dans les romans, les films et les séries: le manque de diversité et la sous-représentation des papas tel qu'on les voit ici.


Dans cette optique, je souligne que c'est donc un album qui présente de superbes modèles de papa et illustre qu'il existe pleins de façons de l'être, sans que cela heurte cette "virilité" si dommageable pour la masculinité en générale. Un constat qui s'adresse aussi aux filles, parce que la pression à être maternante est encore un fardeau pour elles. Présenter le fait que les garçons aussi ont un pendant paternel diminue donc la charge qui repose sur les filles. j'en reviens donc aux modèles de rôle parentaux, qui devraient être plus équitables et plus fluides entre les parents. Plus personnalisés, surtout.


Les illustrations, bon sang, que je les trouve sublimes. Douces, dynamiques, j'admire la diversité des poses des corps, les nombreuses ethnies présentes avec leur costumes assortis. Certains ont des tatouages, certains sont plus dandys. Il y a de tout, ça respire l'universel. Les couleurs sont apaisantes et maîtrisées, les choix de séquences intéressants. On croirait croquer de morceaux de quotidien.


J'éprouve pour cet album un sentiment similaire à celui que j'ai eu pour "Maman" du même binôme, mais il y a quelque chose de plus avec celui sur les papas. Non pas que j'estime leur rôle plus important, certes non! Mais parce que si on admet très volontiers ( voir trop, ça en devient inconfortable parfois) celui de la mère maternelle, on n'a pas cette reconnaissance aussi ferme avec le rôle du papa dans nos sociétés occidentales. Pensez au nombre bien plus grand d'albums où quand on parle de parent, on parle de la maman. Pensez aux personnages que vous voyez passer et voyez à quel point le réconfort et la sécurité viens très souvent de la mère. Pensez au système de protection des enfants, qui favorise encore beaucoup plus la prise en charge par la mère. Ce sont des généralités, bien sur, tout n'est pas blanc ou noir. Reste que pour normaliser un élément social, cela passe forcément par sa reconnaissance et sa représentation dans la culture. Nous sommes dans une bonne voie, je pense, dans les deux cas. Et "Papa" vient assurément ajouter sa contribution!


Un petit bijou de la littérature jeunesse à mettre dans toutes les mains, jeunes et plus âgées, enfants comme adultes.


D'un point de vie de lecture seule, je pense que cet album sera plus adapté au troisième cycle primaire, les 10-12 ans, mais il peut tout-à-fait être lu avec les premier ( 6-7 ans) et second cycle ( 8-9 ans) primaire en accompagnement ou en lecture fait par un adulte. Et je pense qu'il serait un très beau cadeau à faire au lectorat des adultes et des aînés.

Shaynning

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