Paradis, Abdulrazak Gurnah (Prix Nobel 2021),édit. Denoël
C'est l'une des quelques rééditions de cet auteur tanzanien, de Zanzibar, qui vit en Grande-Bretagne et qui a été récompensé, cette année, par le Prix Nobel.
Ce roman nous transporte en Tanzanie au début du siècle (le XXème). Le jeune Yusuf, alors âgé de 12 ans, a été donné en gage par ses parents à un créancier, gros commerçant de la côte, que le petit appelle oncle Aziz. Premier voyage en train, première séparation familiale, jusqu'à ce que Yusuf soit déniaisé par un camarade, également esclave du seyyid, sous l'autorité duquel il apprend à tenir boutique. Le seyyid, contrairement à ce que l'on redoute, ne sera pas un mauvais homme.
Une vie de commerce, d'hommes qui devisent sous les arbres à pain, de caravanes qui s'ébranlent en long cortège durant des mois, précédées de musiciens et de porteurs en file indienne, à la recherche de marchandises que l'on troque – « toutes sortes de marchandises, sauf des esclaves- même avant que le gouvernement l'interdise. Le commerce des esclaves est dangereux, et pas honorable »- traversant des terres occupées par des colons ou quelques tribus irrédentistes, traditionnelles, « des sauvages » pour les gens de la côte.
Un roman d'apprentissage dans cette Afrique de l'Est, qui nous est sans doute moins familière – les colons y étaient Anglais, Allemands, Hollandais-, commerçante, au courant de tout ce qui se passe, traversée des influences de la corne arabique (Oman) et de l'Inde, beaucoup plus diverse et « connectée » que l'on peut l'imaginer, éparpillée cependant, au delà des routes marchandes, en sultanats de poche (chacun son village) craintifs ou féroces.
Un personnage Indien, Kalasinga, un Sikh, annonce à tout va qu'il veut traduire le Coran depuis l'anglais en swahili « pour vous faire comprendre, stupides indigènes, que vous adorez un Dieu extravagant. Ce sera ma croisade. Vous verriez, poursuit-il , à quel point votre Allah est intolérant, et, au lieu de l'adorer, vous trouveriez quelque chose de mieux à faire ».
Ce sont d'ailleurs les personnages qui tiennent ce roman, Yusuf, en premier lieu, à la beauté renversante, à laquelle tous sont sensibles, hommes et femmes mêlés qui y lisent un signe du divin. Son camarade Kahlil, sympa comme tout, qui veut absolument le marier. « Oncle Aziz », impérial et mystérieux. Sa femme, « La Maîtresse », recluse que l'on dit un peu folle et qui a fait accrocher dans le jardin des miroirs aux branches des arbres pour pouvoir, depuis sa fenêtre, voler quelques reflets de la beauté de Yusuf. Amina, la sœur de Khalil, dont on ne fera que tardivement connaissance, Mzi Hamdani, le jardinier, esclave qui n'a pas repris sa liberté quand on la lui a donnée : « Elle m'a offert la liberté, comme si c'était un cadeau. Ils peuvent t'enfermer, t'enchaîner, se moquer de tes modestes aspirations, mais la liberté n'est pas quelque chose qu'ils peuvent t'enlever. Le travail qu'on m'a donné à faire, c'est le jardin. Qu'est-ce que cette femme peut m'offrir qui me rende plus libre ?"
Le récit est lent, quelquefois un peu répétitif, on s'y ennuie vaguement comme dans un Le Clezio. Il s'y passe peu de choses. Mais il y a aussi dans cette prose une justesse de ton, une délicatesse, une sensualité, qu'aiguisent sans doute la séparation des sexes et l'interdit de l'impudeur, bouleversantes. Et, comme dans un Le Clezio, on se laisse gentiment saisir, dans ce roman de caravanes, par le charme du voyage immobile.