Paru en 2007 aux éditions Les prairies ordinaires, cet ouvrage rassemble quatorze textes d’auteurs et de nature très différents, sous la direction de Mike Davis et Daniel B. Monk, mais qui tous dénoncent à travers les lieux et les villes, de Dubaï à Kaboul, les conséquences désastreuses du «capitalisme sauvage et fanatique qui caractérise notre époque», en termes d’accaparement et d’épuisement des ressources par les riches et d’exclusion des pauvres.
Ce qui est parfaitement illustré ici est l’avènement hallucinant d’un clivage spatial sans précédent depuis les années 1990, avec la création «d’univers alternatifs pour formes de vies humaines privilégiées», catastrophe morale et écologique, source de désir et de révolte pour ceux qui en sont exclus, soit avec la création ex-nihilo de villes ou communautés de luxe, comme à Arg-e Jadid en Iran ou dans les Nouveaux territoires à Hong Kong, soit avec la gentrification de villes entières comme à Paris, soit avec la création d’enclaves de luxe dans un océan de violence et de misère comme à Kaboul ou Managua, créant des crises écologiques – en premier lieu la pénurie d’eau – dont les pauvres subiront en premier les conséquences.
Aux sources de cette forme ultime du capitalisme, Marco d’Eramo («Du Minnesota à l’Arizona») décortique les ressorts de cette incarnation de la dévoration du collectif qu’est le Mall of America, mastodonte de 390 000 m² inauguré en 1992, et qui aspire à remplir toutes les fonctions sociales en les marchandisant, et de la ville privée de Sun City en Arizona, ségrégation volontaire de personnes âgées riches dans une ville-bunker régie par un règlement de copropriété aux milliers d’articles qui prend le pas sur le droit constitutionnel (interdiction de recevoir des jeunes de moins de 18 ans chez soi plus de 30 jours par an, interdiction aux employés de parler aux résidents, etc.) : lorsque l’utopie prend les traits du cauchemar.
Coup de grâce aux utopies de villes sur les mers, «Utopies flottantes» de China Mieville dévoile les dessous peu reluisants du projet avorté de Freedom ship, forme ultime de la « gated community » pour permettre à 100 000 fortunés de prendre littéralement le large, dévoiement d’une forme d’utopie par les libertariens qui érigent «une avarice toute banale – la réticence à payer des impôts – en combat de principe pour la liberté politique».
Le chapitre sur Dubaï de Mike Davis, archipel clinquant du luxe utopique dans une planète de bidonvilles, mérite une lecture intégrale dans le livre de 2006 «Le stade Dubaï du capitalisme».
http://www.senscritique.com/livre/Le_Stade_Dubai_du_capitalisme/critique/29874864
Dans ce livre décapant et nécessaire on mesure à quel point l’appellation de libéralisme est usurpée tant nous sommes loin des soi-disant mécanismes autorégulateurs des marchés mais dans un programme de privatisation systématique des services publics rentables, de détournement des fonds publics au profit de groupes d’individus proches du pouvoir, de gangsters milliardaires et des riches en général, avec des pratiques et une explosion des inégalités qui rappelle l’ère des barons voleurs, dans un monde où les valeurs collectives et les ressources naturelles sont menacées d’épuisement.