Ma bible de l'accompagnement éducatif

Joseph Rouzel est un grand homme du travail social. Il fut éducateur spécialisé, puis est aujourd'hui psychanalyste et poète. Mais c'est avant tout un homme d'engagement, de réflexion, attaché à une certaine idée du travail social pour l'autre et surtout avec l'autre.


Je suis moi-même éducateur spécialisé depuis 2014, et ce livre fait figure de phare dans la nuit dense et obscure qu'est le travail éducatif.


Ce livre souligne tout un ensemble de points importants pour réaliser un accompagnement des autres avec comme toile de fond la psychanalyse et plus généralement le travail clinique. Des concepts flous pour les non-initiés, mais primordiaux dans mon travail d'éducateur.


Le mot clinique, lorsqu'il est relié au travail social , signifie être au chevet du manquant, du désirant, de la personne handicapée. Il ne s'agit pas directement d'agir, mais de comprendre quels sont les symptômes de ce mal-être, qui sont les acteurs qui interagissent dans la situation et comment ensuite faire des hypothèses, qui permettront, on l'espère, d'agir pour aider.


Dans Parole d'éduc, Joseph Rouzel, place comme fondement du travail de l'éducateur son obligation à la réflexion et la nécessité de s'engager.



Un éducateur, c'est quelqu'un qui ne se laisse pas faire, qui prend la
parole, même si on ne lui la donne pas, qui ne transige pas sur les
valeurs, qui exerce sans cesse sa capacité critique pour faire valoir,
comme le souligne Jean Oury, que "rien ne va jamais de soi".



Dans ce livre Joseph Rouzel se sert de son indéniable expérience, mais s'appuie constamment sur les écrits de ceux qui ont pensé le travail social avant lui. Il en dégage des concepts, beaucoup de concepts, utiles et qui permettent d'exercer son travail avec plus de justesse.
Un concept que j'ai découvert grâce à lui et que j'aime beaucoup, car il est au cœur de mon métier :



Marcel Detienne et Jean-Pierre Vernant (Les Ruses de l'intelligence,
la métis des Grecs, 1974) ont permis de repérer comme une pratique de
la ruse, la métis "ensemble complexe mais très cohérent, d'aptitudes
mentales, de comportements qui combinent le flair, la sagacité, la
précision, la souplesse d'esprit, la feinte, la débrouillardise,
l'attention vigilente, le sens de l'opportunité, des mobilités
diverses, une expérience longuement acquise.



Rouzel prétend que la métis est à l’œuvre dans le métier d'éducateur. Je le rejoins complètement.


Il aime aussi beaucoup définir, car définir un terme c'est comprendre ensemble de quoi on parle et de parler ainsi le même langage.



On se rappelle que le paidagogos à Athènes, ou l'Educator à Rome,
était cet esclave chargé de conduire les enfants de la maison
familiale au lieu d'enseignement, et que le sens profond du mot en est
celui de guide.



"Guide", voilà un autre mot clef du travail d'éducateur. Le guide, c'est celui qui conduit la barque, ou plus précisément le 9 places dans les institutions. Mais conduire, ça veut dire chapeauter, organiser les évènements de la journée, mais pas diriger, matraquer.
Voilà comment Joseph Rouzel poursuit cette métaphore du guide :



Il faut accepter de se la boucler pour accompagner le voyageur,
l'encourager, le soutenir, dans son périple. [...] Alors pour
l'éducateur, c'est un travail de sherpa. Il faut faire le guet pour
prévenir des embuscades, suivre le rythme de marche de l'autre,
l'alléger des impedimenta lorsque la montée se fait trop raide,
proposer des raccourcis, ou bien suggérer un temps de repos dans une
auberge de montagne, inciter, au détour d'un col, à marquer un temps
d'arrêt devant la splendeur du paysage, et quelquefois, l'autre, le
perdre de vue, puis le retrouver à la sortie d'une hutte, tout
emplumé, et sur le tard, le voir disparaître à l'horizon, en réprimant
cette envie de le retenir, parce qu'il est trop faible, qu'on pourrait
peut-être en faire plus, en rajouter, lui confier plus de munitions,
lui glisser dans la main les cartes, un bâton de marche, une adresse
pour SOS... Mais non, le voilà parti dans la beauté des choses. Plus
de nouvelles, plus de signes, plus de traces. L'autre va son chemin.
L'éduc le sien.



On devrait obliger chaque éducateur à relire cet extrait une fois par an, pour que l'on n'oublie pas nos missions.


Joseph Rouzel, c'est aussi un puits d'aphorismes. Pour l'avoir vu "en vrai", une fois en 2012 ou 2013 à Limoges, il continue à être brillant aussi lorsqu'il s'exprime en réalité.
Deux pépites que je vous présente ici :



Un être humain, se socialise, non pas d'un respect forcé des lois et
des injonctions, mais parce qu'il trouve un jour à qui parler.



Puis, une citation de Pierre Legendre :



Le plus écrit de tous les écrits, c'est le corps humain, le premier de
tous les médias.



Et puis je ne vais pas expliquer en détails tous les concepts que Joseph Rouzel développe dans Parole d'éduc.
Juste un, car il est important dans cette société dans laquelle le père (ou celui qui fait fonction de père) se perd (jolie homonymie) de rétablir le sens de cette fonction.



Le père qui est avant tout représentant de la loi, occupe la place de
la loi, il ne fait pas la loi. [...] Le père intervient comme celui
qui détient le Phallus et non celui qui l'est; il réinstaure ainsi
l'instance du Phallus comme objet désiré de la mère. [...] Mais cette
loi, si le père l'incarne, ce n'est pas lui qui l'a fait. Il est le
gardien de ce qui le dépasse. Ce qui renvoie le père, à travers la
fonction qu'il assume, à sa propre castration.



La pensée de Joseph Rouzel est essentielle. Car elle fait pont entre de nombreux concepts. Il n'a pas inventé grand chose, mais il arrive à mettre en branle de nombreuses idées, pour les rendre plus intelligibles et accessibles au plus grand nombre.


C'est un pont, empruntons-le.

PaulNino
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le 16 mai 2020

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