J'ai voulu lire Parole de femme en parallèle du Deuxième Sexe, comme une autre voix féministe, moins reconnue mais tout aussi intéressante. Annie Leclerc a souvent été mise en opposition avec Simone de Beauvoir (avec qui elle a apparemment coupé les ponts après la parution de cet essai), car elle a été à rebours d'une vision "masculiniste" (selon ses dires) de la féminité existentialiste de Simone de Beauvoir, qui voit la femme en creux de l'homme et, il est vrai, manque cruellement d'empathie envers son sexe.
Annie Leclerc se pose dans une subjectivité de femme (elle propose d'ailleurs une phénomènologie de la jouissance des sens, incroyable de poésie) : elle nous parle de sa grossesse, de ses règles, des tâches ménagères, de la vie et de ses jouissances. J'ai pu froncer les sourcils au début en trouvant la réflexion très essentialisante, et puis force est de constater qu'Annie Leclerc repart de la racine, du corps des femmes qui apporte un surplus de vie, tandis que les hommes crèvent dans l'oeuf tout sursaut vital, domptés par leur désir rugissant.
Les hommes, incapables de créer la vie, pallient avec la technologie, les outils, pour créer un surplus sur Terre, qui se révèle purement mortifère. Ils dénigrent les tâches "féminines" qui n'ont en soient rien de méprisables, et incapables d'atteindre la jouissance en dehors de leur sexualité (et encore, ne l'appelle-t-on pas "petite mort" ?), ils déploient des trésors de mesquinerie pour assoir leur domination. Course effrénée de leurs désirs, impuissance de vivre.
Parallèlement, Annie Leclerc décrit les jouissances non sexuelles (car ce sont les seules que la société nous suggère) que la femme, Être rattaché de façon bien plus ténue à sa corporalité, peut atteindre en opposition aux valeurs moribondes de l'homme : la description de l'expérience de son accouchement est sublime. Ses réflexions sur les tâches ménagères sont pleines de bon sens, même si il faut mettre de côté ses a priori. Elle nous parle du rire, de la danse, des odeurs, de ses règles... avec une sensualité débordante et magnifique.
Enfin, elle célèbre la femme, sa prodigieuse force physique, sa propension à la jouissance, muselée depuis toujours mais qui ne demande qu'à éclater. Sa plume est lyrique et galvanisante, elle m'a fait me sentir profondément bien dans mon Être au Monde, fière d'être une partie de cette "humanité".
Petit bémol, j'ai quand mis longtemps à y trouver un intérêt, la première partie étant beaucoup moins virtuose que la seconde. Néanmoins c'est quasiment oublié compte tenue de la force de sa plume dans la deuxième moitié.