Passacaille
6.9
Passacaille

livre de Robert Pinget (1969)

Sans fond, la forme ne peut qu'éblouir. Trop peut-être.

Ce livre est très particulier à mes yeux, c'était un peu mon fantasme intellectuel adolescent jamais assouvi auparavant. Ma prof de français en parlait plus ou moins en ces termes : roman complexe et paradoxalement dépouillé dans lequel on suit différents personnages de manière plus ou moins incohérente dans le but d'élucider un meurtre, le tout plus axé sur des actes que sur des dialogues. Et j'ai trouvé ça génial. Cinq ans après, je me le suis procuré, et ce fut en effet une lecture très intéressante. Explications.

Tout d'abord, c'est du nouveau roman, pur et dur, qui n'hésite donc pas à renier certains codes littéraires ancestraux ou certains éléments qui semblent essentiels à tout récit. Le livre n'est par exemple nullement découpé en chapitres, il n'y a jamais d'interlignes entre deux paragraphes, certains signes de ponctuation ne sont jamais employés (le : par exemple, ou la virgule dont l'emploi est presque aléatoire) et l'on passe d'un protagoniste à un autre sans qu'il y ait forcément de lien entre eux. Bref, c'est complexe, et peu engageant.

Surtout que le récit est fort répétitif, puisque c'est l'histoire d'un meurtre à élucider, grâce aux points de vue des différents acteurs, d'ailleurs jamais vraiment nommés en dehors de leur fonction ("facteur", "docteur", "gardien"), et un même événement tout à fait banal sera peut-être raconté vingt fois, avec d'infimes nuances selon les points de vue. Et pourtant, "l'enquête" avance et peu à peu la vérité semble tangible. Mais que c'est laborieux, tant le travail que doit effectuer le lecteur est complexe, devant d'abord démêler les différents fils narratifs, puis ensuite évaluer leur pertinence par rapport à tout ce qui fut déjà précédemment énoncé. J'ai rarement lu un roman aussi éprouvant pour son lecteur en fait, parce que sa "difficulté" d'approche ne se situe pas dans son style d'écriture, mais purement dans sa narration et le travail exigé du lecteur.

Et au final, je ne suis même pas sûr d'avoir tout compris, d'avoir perçu tout le travail de Pinget, et j'avoue humblement ne pas avoir le courage d'étudier le récit sous tous les angles pour en récolter toute l'essence, mais c'est clairement une lecture qui mérite une étude approfondie et consciencieuse, tant cette narration est travaillée. Mais en l'état, le livre fut plus fort que moi, trop complexe et savant en avant.

Le tout en racontant un meurtre banal dans un village champêtre, avec une galerie de personnages et des descriptions tout à fait banales. Et c'est là que je perçois l'intérêt et le génie potentiel du nouveau roman : un délaissement presque total du fond pour mettre pleinement (jusqu'à l’écœurement) la forme. Génie, c'est le mot, et pourtant il m'est difficile de noter cette oeuvre. Cinq laisserait penser qu'elle m'a laissée tiède, donc j'opte pour un sept passe-partout, mais ce type d’œuvres me semble en fait in-notable.
Floax
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le 2 oct. 2013

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