Critique de Shaynning
Second opus de la série qui a gagné le Prix des Libraires du Québec dans la catégorie BD étrangère, "L'ombre de l'oiseau" est plus sombre et profond, mais prend place dans un monde plus élaboré,...
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le 23 oct. 2022
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Mention Olibrius Roman Intermédiaire 2023*
Woh, un ovni! C'est à tout le moins l'impression que j'ai eue quand on a reçu ce roman intermédiaire dont la couverture orange présente les cercles concentriques qu'on retrouvait dans les présentations des Cartoons américains des Looney Tunes. Disons que ça donne le ton. Nous sommes donc en présence d'un drôle de spécimen livresque qu'on pourrait trouver rebutant au début, mais dont le registre d'humour absurde et son foisonnement de sujets lui ont mérité le titre absolument pas reconnu "D'Olibrius", mention spéciale que je décerne aux cas spéciaux non-conventionnels et un brin perturbant ( dans le bon sens, bien entendu).
L'école Sacré-Coeur-de-Poulet est le genre d'école qui semble à la fois le résultat de l'imagination déjanté d'une bande de jeunes gavés de sucres, d'une conjoncture de facultés aussi hors-normes qu'hétéroclites et d'une panoplie délirante d'idées loufoques de la part d'adultes auxquels il manque des cases - ou au contraire, en ont quelque une de plus. Bref, un joyeux bazar qui me fait dire: Enfin une école amusante! Condensé pétillants d'absurdités sur la structure de l'école, sur ses singularités logistiques et son étrange personnel, ça part un peu dans tous les sens dans ce premier tome.
Nous suivons le récit avec un narrateur personnage, Antoine, qui nous l'introduit d'entrer de jeu: "T'es pas prêt" [ à entendre ce que je vais te raconter]. C'est jour d'exposé oral avec pour sujet "votre animal de compagnie" ( Tiens, comme dans "Mammouth rock", ça dit à un prof motivé de faire une bataille de livres entre ces deux-là?), mais ô damnation en pot de jello, c'est aussi jour d'inspection! Oho. Comment arriver à faire passer les nombreux manquement au bon sens de l'école en 22 989e position dans le classement des écoles, surtout avec des enfants qui ont eu aussi des particularités pour le moins questionnables?
Pour vous donner une idée des choses qu'on retrouve dans cette école, voici un petit listing non-exhaustif:
-Les ballons-poires de la cours de récréation sont de vraies poires
-La prof d'anglais ne parle qu'allemand et tricote avec ses propres ongles disproportionnés
-Une basse-cour aménagée au sein de l'école exige un passage pour piétons qu'on appelle "traverse de poussins"
-La bibliothécaire huronne-wendat est aussi spécialiste de la forêt ( Kwei!)
-Le directeur, Monsieur Légaré, perd tellement de perruques qu'il y a en a dans le bac des objets trouvés, en plus de se répéter par deux fois sur tout et de courir comme une poule pas de tête un peu partout, cravate au vent
-les abreuvoirs fournissent du jus de légume et du smoothie vert ( le Guide Alimentaire Canadien approuve ce choix- Ce n'est pas écrit dans le livre, c'est moi qui ajoute des détails pas pertinents)
-La brigadière est aveugle, mais a une ouïe carrément prodigieuse ( deviner les motifs des bas/chausettes d'Antoine, faut le faire!)
-Les parents d'Ariel "Du coup" Lafrance, effectivement français, ont composé plus de mille saveurs de crème glacée/glaces, dont les parfums sont soit rebutants soit étonnants ( voir l'extrait)
-L'étudiante Zendaya, qui se dit "princesse" arrive parfois en litière portée par des hommes musclés
-L'étudiante Babette produit des bulles de savon quand elle parle
-L'étudiant Colin porte un seau à son cou, parce qu'il vomit pour un oui ou pour un non
-L'étudiante Perssiflore est une fontaine à larmes humaine
-Madame Marie-Plume cache des tas de trucs dans ses cheveux, appelle ses étudiants par des surnoms très originaux en rimes et confectionne des collations composés de cerise de terre à la mélasse
etc.
Jeux de mots, premier ou second degré d'humour, comparaisons étonnantes, énumérations ridicules, figures de styles déraisonnables, nom de famille collés à une fonction ou un trait, blagues de pet, des poussins qui piaillent des dialogues ( traduits en bas de page), pas de doute que ça va plaire aux enfants qui aiment des lectures légères ou qui éprouve un urgent besoin de dilater leur rate.
Concernant son format, tributaire de la très grosse police qu'on y trouve, je suis toujours mitigée. L'argument des maisons d'éditions et des parents repose sur l'idée que l'enfant va se sentir valorisé de lire "un gros livre". Déjà, c'est contre-productif de prétendre que les gros livres sont ceux des "bons" lecteurs, parce que c'est faux. Certaines briques sont très mal écrites et certains micro-romans sont des bijoux d'écriture. En outre, lire un roman à gros caractère ne rend pas meilleur lecteur, c'est même le contraire. Je note déjà la présence de lecteurs et lectrices en librairie jeunesse de 10-12 ans qui dépendant maintenant des gros caractères, qui constitue le seul ou principal critère de lecture. Enfin, ces gros pavés sont papivores: on est à l'ère des enjeux climatiques majeurs, on a pas besoin de telles briques de papier, surtout pour une lecture unique ( je doute fortement de la pérennité de ces romans, pour la plupart assez médiocres en terme de qualité). Je dirais donc: de temps en temps, mais pas trop souvent et n'oubliez pas de leur rappelez qu'on ne juge pas plus un livre à son poids ou sa taille qu'on le ferait avec une personne.
Concernant les représentations, nous avons un peu de tout: personnage en fauteuil roulant, personnage anxieux, personnages de diverses ethnies, personnages ayant des handicaps, membre d'une communauté autochtone, on a un peu de tout, mais le personnage principal est assez basique, caucasien ( blanc) et assez peu personnalisé, surtout par rapport aux autres personnages, plus colorés et distincts. Ce qui pourrait être intéressant avec une série humoristique telle qu'une école déjanté serait de faire des tomes subséquents avec divers personnages principaux à la narration pour chaque tome.
Côté thèmes, on en a relativement peu. C'est surtout une accumulation d'actions et de péripéties, entremêlées avec des descriptions de cette étonnante école. On sent la présence de la collaboration, de la créativité et de la bienveillance entre les jeunes personnages.
Enfin, ce qui est sans doute l'élément le plus absurde est le fait qu'en dépit de tout le matériel sophistiqué et la longue liste de critères tous plus exagérés les uns que les autres de mademoiselle Mustapha, la fameuse Inspectrice, elle n'ait aucun reproches à faire à cette école, qui déroge à tellement de règles de sécurité et de salubrité que c'est forcément impossible. Mais comme je l'ai spécifié au début: C'est un registre absurde, c'est donc "logique" que ce soit illogique.
Petit détail: Faire une référence au film d'horreur "L'exorciste" est non seulement une référence adulte, mais je doute en plus que les jeunes 8-9 ans comprennent de quoi il est question.
Globalement, côté français, et cela est sans doutes le résultat de la panoplie de sujets qu'on retrouve dans ce roman, il y a un vocabulaire assez varié, truffé de nombreuses onomatopées et expressions - dont je ne connais pas les significations, quelques fois. Narration au "je", on a cependant quelques éléments oratoires moins élégants. Les mots plus complexes sont en caractère grand et en lettres capitales. Ç'aurait été intéressant d'avoir un lexique pour en donner les définitions à la fin, un pour les mots soutenus et un pour les expressions, de manière à aiguiller les lecteurs qui seraient perplexes ou curieux face à ces mots ou expressions moins courant.e.s. Enfin, précision importante: Il y a présence de langage dit "oral", donc c'est normal de trouver des formulations erronées et des contractions dans certaines phrases, tel que le "c'est passe que" au lieu de "c'est parce que". Ça n'a rien de nouveau, même les romans ados français ( De France) sont bourrés de termes inadéquats, mais qui sont l'expression du français oral et non écrit.
Dans le genre qu'il représente, je dirais donc que globalement c'est un bon roman. Lecture ludique avec une bonne représentativité et un effort quand à la langue, il est aussi un des rares romans jeunesse intermédiaire à se risquer les pages sur le registre d'humour Absurde, que j'ai croisé beaucoup plus dans l'univers anglo-saxon, surtout britannique. Et son titre, "Passer un savon", n'a pas exactement la vocation usuellement employée, mais est tout-à-fait de circonstance. Enfin, j'ai déjà critiqué les auteurs et autrices modernes qui tablaient encore sur le vieux canevas de l'école emmerdante, rigide et conservatrice, qui rappellent de manière décourageante que l'école n'est pas une partie de plaisir et je leur reprochais de ne pas simplement réinventer l'école. Qu'à cela ne tienne, ici on fait l'inverse! On change la donne, et ça me plait! Comme disait une certaine personne dont j'ai oublié le nom - et même l'origine: "Osons, soyons fous!"
**Ce roman contient des traces d'humour qui pourrait ne pas convenir aux gens à tendance agélastes ou psycho-rigide, est dépourvu de théorie du complot et convient aux lectrices et lecteurs de plus de 8 ans à l'infini - ou jusqu'à ce que vous soyez devenus d'irrécupérables rébarbatifs sans humour. Comme il a été produit par d'irréductibles québécois, probable qu'il ait aussi une vague odeur de sirop d'érable...
Pour un lectorat du second cycle primaire, 8-9 ans+.
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Créée
le 4 mars 2023
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