Presque l'Arcadie

Ce recueil de poèmes en prose nous présente un paysage qui s'étend dans une description sur plus d'une dizaine de poèmes. Si au début le paysage n'est décrit que de manière objective, peu à peu le poète laisse ses réflexions se mêler au décor, à la scène et nous dépeint un tableau synesthésique, vivant et pittoresque. C'est un locus amoenus parfait, et cela n'est pas surprenant de la part de Jaccottet lorsqu'on connaît son amour pour la culture antique: le décor ici rappelle facilement l'Arcadie, demeure des nymphes. Et plus généralement, la présence d'un certain sentiment métaphysique dans ces poèmes réflexifs provient d'une dimension divine qui se glisse entre les lignes, le divin étant un motif assez récurrent dans la littérature antique, et présent ici à travers de subtiles références à la mythologie gréco-romaine et à la religion chrétienne. En dehors de l'héritage antique, la nature reste un topos dans la poésie: que ce soit chez les auteurs de la Pléiade (la Continuation et Nouvelle Continuation de Ronsard) ou dans le mouvement Baroque ("La solitude", T. de Viau), et plus tard chez les Romantiques ( Les Méditations poétiques de Lamartine, typiquement). De fait la solitude qui va de pair avec le paysage naturel ne présente à priori rien d'innovant dans le choix du thème. Néanmoins l'originalité de Jaccottet repose dans cette écriture en prose libre qui aborde des thèmes très lyriques sans aller dans l'ornemental, elle ne nous touche pas à un degré lacrymal, mais nous transporte -à travers le regard subjectif du poète- dans ce décor réellement humble (au sens étymologique) empli de sérénité, de plénitude, de spiritualité et finalement on se retrouve immergé dans ce paysage où, comme le titre l'indique, la figure individuelle du poète et du lecteur disparaissent, deviennent absentes pour faire place à une quiétude totale, quasiment atemporelle.