Se détachant d’un cinéma plus « blockbuster » associé à la saga des Pirates des Caraïbes, Gore Verbinski nous offre ici un film relativement similaire à ceux que peut proposer Guillermo del Toro.


Lockhart, employé d’une riche entreprise américaine, est chargé de ramener aux États-Unis son supérieur hiérarchique, celui-ci ayant subitement quitté son mode de vie pour chercher du repos dans un sanatorium en Suisse. Lockhart se rend alors sur place et découvre peu à peu des événements étranges et observe une ambiance sinistre qui emplit le lieu.


Malgré mes appréhensions, ce n’est pas un film d’horreur, mais davantage un film à l’ambiance gothique. Une tension croissante est présente tout au long du film, instaurée par le huis-clos du sanatorium, mais également entre les flashbacks, ou encore les hallucinations et la réalité ; on ne sait jamais réellement si ces hallucinations en sont bel et bien ou si c’est une réalité que l’on souhaite masquer au protagoniste principal. Le jeu de la folie forcée sur le personnage rappelle Shutter Island de Scorcese où tous les personnages semblent ligués contre Teddy Daniels. Mais finalement, contrairement au film de Scorcese, Lockhart n’est pas fou, comme en témoigne la révélation finale, paroxysme de l’aspect fantastique du film.


Nous pouvons aisément déceler dans le film une critique du capitalisme et de la surproductivité qui régissent notre monde et sont liées justement à la folie, qui est censée être soignée dans le centre de détente. Visuellement, le sanatorium est un endroit paisible, lumineux, les scènes dans le lieu présentent des couleurs douces et calmes, imitant par là le repos que les « riches » viennent y chercher, eux qui souhaitent une césure avec leur mode de vie agité en entreprises, les scènes administratives étant au contraire montrées sous des couleurs d'un froid plus sombre, plus terne, scènes souvent pluvieuses, ajoutant un aspect tragique pour représenter ce mode de vie aliénant, conduisant à la dépression.


Mais si en apparence le sanatorium est un lieu de plénitude, les événements macabres qui s'y produisent viennent perturber cette atmosphère. Dès le départ, cette plénitude n’est pas crédible: les infirmières et médecins de ce lieu semblent d’emblée suspects par leurs regards insistants et leurs réponses métonymiques qui ne font qu’augmenter les interrogations du spectateur. Il n’y a que Lockhart pour leur croire d’emblée, pas tant par crédulité que par orgueil, il est pressé d’en finir sa mission et de rentrer chez lui. La fin montre l’évolution qu’a eu son personnage, son repos physique est bien sûr quelque peu ironique au vu des épreuves qu’il a dû traverser, mais il a su acquérir une clairvoyance, autant par rapport à l’illusion de son mode de vie obnubilé par la productivité, que par rapport au monde en lui-même, il cesse ainsi de se préoccuper uniquement de sa personne, comme en témoigne l’affection portée au personnage d’Hannah.


Cette dernière peut d’ailleurs être considérée comme la figure poétique du film, puisque par le mystère que constitue son être, son histoire se dévoile parallèlement aux mystères du sanatorium. Son innocence juvénile dans un lieu qui tourne autour des vertus aquatiques la présente comme une sorte de naïade, ou une ballerine, à travers sa danse et cette pureté qui la définissent. Elle paraît en dehors du monde même de cet hôpital: sa robe bleue la contraste des autres patients tous habillés en blancs, et son visage toujours mélancolique la rend davantage réelle et sincère humainement malgré son aura mystérieuse, par rapport aux autres patients qui sourient et sont bienveillants mais à qui on ne sait jamais si l'on peut se fier, et finalement malgré son aura lunaire, elle est la seule à être ancrée dans la réalité sinistre du lieu, là où le personnel dissimule la vérité et les patients refusent de la déceler.


Mais l’innocence de la jeune fille est bien réelle: la métaphore de la ballerine qui rêve sans savoir qu’elle est emprisonnée dans un monde onirique est rendue explicite vers la fin, car elle-même se rend compte de ce réveil qui survient peu à peu et qui devient inéluctable. L’aspect poétique est également présent à travers le motif de l’eau, puisque c’est la source vertueuse du sanatorium ; Hannah elle-même est intrinsèquement liée à cet élément, que ce soit à travers sa robe bleue qui en rappelle la couleur ou par sa pureté qui symbolise la pureté de cet élément, et la douceur de la jeune fille qui rappelle la fluidité de l’eau.


Ce côté poétique transposé à l’ambiance gothique du film n’est pas sans rappeler l’esthétique des films de del Toro. Le motif de l’eau est également présent dans La forme de l'eau de ce dernier, mais l’aspect gothique rappelle davantage le Labyrinthe de Pan, là encore on retrouve la présence d’une protagoniste jeune fille qui représente l’innocence et symbolise le côté onirique, imaginaire, fantastique de l’histoire, mais aussi à travers les anguilles - comparables aux créatures monstrueuses/effrayantes que del Toro affectionne particulièrement. Sauf que contrairement aux créatures amicales du réalisateur mexicain, dans le film de Verbinski les anguilles sont sanguinaires - sans pour autant être des antagonistes - et montrent le côté plus malveillant du centre aquatique car elles vivent littéralement dans l’eau et sont cachées au regard de qui que ce soit, donc à l’instar du corps plongé de Lockhart là où sa tête demeure en surface, ce qui est perceptible de manière superficielle ne fait que masquer le danger environnant.


Enfin, la poésie se reflète également dans l’esthétique visuelle du film entier, déjà mentionnée ci-dessus à travers l’utilisation des couleurs. La prédominance du bleu ou du vert d’eau, des nuances plutôt mutées et froides, calmes, ajoutent cet aspect "vintage" aux scènes du sanatorium, puisque le bâtiment lui-même reprend un principe aujourd'hui désuet dans le monde des soins psychiatriques. Le bleu et l'aspect vintage créent une sorte de bulle onirique, entre le cauchemar et le rêve doux, un mélange des deux qui nous coupe du réel afin que l'on soit captivé et nous aussi enfermé dans ce huis-clos, comme dans une bulle. Le bleu est évidemment la couleur de la mélancolie, cette émotion se reflétant sur le visage d’Hannah et dans une mélodie récurrente du film où une voix féminine chante, similaire à une berceuse, là aussi comparable à la berceuse fredonnée pour Mercedes dans le Labyrinthe de Pan. La dimension poétique qui s'enracine dans notre regard de spectateur devient évidente dans la scène finale, lorsque les patrons de Lockhart viennent le chercher et nous apparaissent irréels tant ils semblent "parfaits", lisses comme le plastique, comme l'artifice du monde capitaliste. Eux-mêmes sont sinistres par leur réalité déshumanisée.

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le 26 avr. 2021

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vertigeestival

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