Petite cuisine du diable par thierryhornet
Grande prêtesse du roman underground - parfum Nouvelles Orléans décrépie, vampires, absinthe, horreur chic et choc, Poppy Z. BRITE en a assez d’être une Stephen KING-trash-punk, et se dépouille de ses oripeaux gothiques. Sa "Cuisine du Diable" tend plus vers Douglas COUPLAND que vers Anne RICE, et on y est pas perdant.
En quatorze nouvelles, on assiste au basculement d’un auteur. Comme elle le confesse en préface, Poppy n’a plus les envies de zombies et de revenants qui ont fait son succès. Alors la voici qui tout doucement, nouvelle après nouvelle, creuse la voie de récit moins chargés en hémoglobine, et plus centré sur ses personnages que sur leurs costumes.
Le livre de recette s’ouvre sur un mignon conte diabolique, ["Le Diable par la queue"], une séance de vaudou culinaire assez piquante ["Ô Camarde, où es ta spatule ?"], et un "Marais aux lanternes" des plus classiques.
Mais ensuite les saveurs se corsent, et le lecteur titube de surprise. Qui s’attendait, au détour d’une page, à un aussi troublante éloge du suicide, celui de ces amants qui, perdus en mer, se retrouvent l’un l’autre ["Rien de lui ne s’étiole", le titre seul est d’une beauté fracassante.], celui de cette star du rock qui s’abandonnent à des fans pour le moins déraisonnables ?
La Cuisine souffle ensuite le chaud et le froid, prouvant tout le savoir faire de Mlle BRITE à travers des textes de commande de belle facture : une mutante qui s’enflamme trop vite, imaginée en 1998 pour une anthologie inspirée de la BD de Mike MIGNOLA, "Hellboy", ["Tout feu tout flammes"], un "Gel système" refroidissant destiné au site web promotionnel de la "Matrix" des frères W., et quelques mignardises sucrées-salées, "Poivre", "Pansu" et "Marisol", où l’humour noir de l’auteur refait une apparition.
Le dernier texte, qui est aussi le plus long, semble une passerelle adéquate vers la suite des aventures littéraires de Poppy, puisque "Une saison d’enfer" emploie les lieux et les personnages du roman publié en 2004, "Liquor". Pour le coup, Poppy a achevé sa métamorphose en auteur introspectif et sensible, dessinant tout en finesse les portraits d’un couple homo, Rickey et G-Man, restaurateurs, et du jeune Paul, apprenti cuisinier en découverte de la sexualité. Le thème de l’homosexualité a toujours été cher au coeur de l’auteur, mais rarement elle en aura traité les réalités psychologiques de façon aussi "adulte".
Poppy donne donc plus d’épaisseur à ses mots, mais que ses fans de la première heure se rassure, elle garde toujours un pied dans la tombe : la mort n’est jamais loin, l’humour noir n’a pas pâli.
Simplement, Poppy a grandit.