Dans Petite Sale, de Louise Mey, l'intrigue prend place dans un domaine, une exploitation agricole, où travaille Catherine, que la femme du patron (dit "Monsieur") appelle ainsi : la petite sale. Car c'est l'image que cette riche famille de propriétaires se permet d'avoir d'elle : une jeune femme sale, petite insignifiante. Une petite sale.
Il faut dire que Monsieur ne s'embarrasse pas de grand chose. Il dirige son exploitation de betteraves, rachetant des terres, expulsant des habitants pour générer plus de profits, embaucher plus de gens, acheter plus de terre. Et ce ne sont pas les petites gens qui vont venir mettre des grains de sables dans ces rouages.
Du moins, c'est ce qu'il croyait avant que sa petite fille soit enlevée sous son toit et qu'une demande de rançon tombe. Monsieur n'est pas content, il risque de perdre ce qu'il a de plus cher. Ah oui, et sa petite fille aussi. Du coup, il s'intéresse enfin à ces petites gens. A Catherine. Quand des policiers viennent de Paris, c'est entre autre vers elle que les regards se portent, glissent. Passent ensuite à d'autres qui n'avaient jamais mérité le regard de Monsieur. Mais il va bien falloir mettre les mains dans la boue si on veut retrouver la petite Sylvie.
C'est une des force de ce roman. Nous plonger viscéralement dans cette campagne française de la fin des années 60, dans la boue, dans le servage encore présent comme au Moyen Âge, loin de mai 68. Mai 68 qui vient de passer, la vieille génération laissant plus ou moins volontairement la place à la nouvelle. Ce sont ces antagonismes que l'on suit: la population de campagne et les flics parisiens , le jeune flic fougueux et le vieux briscard, les italiens et les français, les riches et les pauvres, les maîtres et les esclaves (les patrons et les employés).
Être riche, c'est avoir le luxe de décider devant qui on doit avoir honte.
C'est le début du journalisme de fait divers. C'est le début de la police scientifique. C'est le début de germination des graines de mai 68.
C'est de tout ça qu'il est question dans ce roman noir, ce polar campagnard. Et aussi, parce que Louise Mey écrit là dessus depuis longtemps, il est question de patriarcat, de domination des hommes sur les femmes, sur le terre, sur les pauvres, sur les étrangers, sur tout. De femmes qui subissent des violences, violences invisibles sur femmes invisibles. Louise Mey les voit pourtant et parvient le tour de maîtresse de nous les montrer sans nous en parler. A moins que cela ne parle que de ça ?
Petite Sale, c'est l'histoire de celles et ceux sans histoire. Écrit par celles et ceux qui n'ont pas de voix.
J'aurais pu dire que j'ai moins aimé quand la narratrice est justement cette femme, que ça sonne faux. Mais la suite du livre me fera même douter de cela. Qu'est ce qui était vrai? Qu'est ce qu'on a voulu me montrer et qu'est ce que j'ai regardé ?
Pour répondre à ça, il faudrait que je relise ce roman. Et ça tombe bien, j'en ai très envie.
La marque d'un grand livre, non?