Emerger d'un roman de la grande Joyce Carol Oates équivaut à émerger d'un cauchemar et, à l'instar des cauchemars, il y a de fortes chances pour qu'il vous poursuive et vous hante plusieurs heures voire de nombreux jours après qu'il se soit achevé.


Un titre si tendre et si sentimental pour un roman noir comme seule Joyce Carol Oates sait en produire. La sensation de ne pas savoir où vous posez les pieds ; vous glissez des petits pas craintifs dans la brume opaque qui vous entoure et dans laquelle vos chevilles sont dissimulées. Vous avancez lentement jusqu'à sentir le sol se dérober sous vos pieds. Et le chute est rude, inévitablement.


Ici, vos pieds sont chaussés de jolis patins en cuir d'agneau ; les patins artistiques de la jeune Bliss, star prodige de la glace qui a déjà conquis le cœur des Américains adeptes de la compétition sportive dès le berceau. Bliss a presque 7 ans et elle a déjà derrière elle une carrière longue de trois années de glisse, de galas, de show et de strass. Coachée par sa mère, pistée par les médias et jalousée par son frère aîné, Bliss est une marionnette si (fr)agile.


Contrairement à ce que peut donc laisser penser son titre tendre et sentimental, "Petite sœur, mon amour" est un drame. Drame familial mais aussi et surtout drame social. Dans le parcours de comète de Bliss scintille le miroir aux alouettes du "rêve américain" de la classe suprémaciste américaine : amour, gloire et beauté, le règne tout puissant de la notoriété clé du succès. "Petit sœur, mon amour" est, à l'instar de bien des romans de la géniale Joyce Carol Oates, un pamphlet qui fustige la barbarie de la quête du succès, qui met en évidence la cruauté des procédés pour y parvenir et la médiocrité des résultats si durement atteints.


"Petite sœur, mon amour" est aussi un roman psychologique puissant qui se développe sous la narration psychotique de Skyler, le frère de Bliss. Maltraitance infantile, accaparement par les parents du destin des enfants, addictions destructrices, drame psychiatrique. Vous pouvez compter sur l'impudique Joyce Carol Oates pour ne pas vous ménager.


Oui, "Petite sœur, mon amour" est à classer parmi les romans très noirs de l'auteure. Une auteure dont la plume continue à me fasciner, à me scotcher, à m'enliser dans un cauchemar dont, vicieusement, je ne souhaite pas tant sortir. La peinture au vitriol que l'auteure dresse d'une société dont elle connaît parfaitement les travers et les fantasmes, dont elle maîtrise les codes et les langages, a de quoi faire froid dans le dos. Si son style accuse toujours quelques longueurs, au final, le voyage qu'elle propose, si riche de détails et de dimensions juxtaposées, mérite vraiment le détour bien qu'il nécessite d'avoir le cœur et les tripes bien accrochés.

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le 28 avr. 2022

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Gwen21

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