Depuis la parution en 2000 de ce livre ironique et mordant dès son titre, les «Petites natures mortes au travail», ces travailleurs fragiles qui résistent mal aux petits métiers, sont sans doute plus mortes que jamais, car la précarité et le chômage n’ont pas cessé de gagner en vivacité.
«cdd d’aujourd’hui, dcd de demain, videurs posthumes de greniers, ex-psychiatrisés en rééducation taylorienne, retourneurs de crêpes en hiver, cracheurs de white-spirit, fleuristes itinérantes, opératrices de saisie bancaire, licenciés en sociologie du licenciement, yogi à grande flexibilité horaire, porteurs de perche hors champ, pigistes pigeonnés sous presse, junkies sevrés à la tâche…»
Après un premier chapitre en forme de liste de petits métiers pas si improbables que ça, Yves Pagès nous décoche vingt-trois flèches, vingt-trois courts récits saisissants entre témoignage et fiction, des portraits qui dénoncent l’aliénation et la précarité du salariat moderne, mais sans simplification outrancière, tout en montrant les contradictions ou continuités surprenantes dans lesquels nous sommes nous-mêmes plongés, à l’image de cette femme ayant choisi l’agritourisme pour ses vacances et qui se retrouve dans une ferme concentrationnaire, élevage de 28 000 poussins. Epouvantée, elle passe ses vacances alitée, avant de retourner à son poste de travail.
«À l’autre extrémité de ce cauchemar à la chaine, quand Alice retrouvera son poste de caissière et les vingt-huit mille codes-barres mémorisés par le lecteur optique de l’hypermarché, elle se sentira presque soulagée de s’en être sortie vivante.»
Un homme étouffant dans un costume de Pluto à Disneyland, des consultants réducteurs d’effectifs, une femme africaine sans papiers embauchée au noir pour faire de la figuration au cinéma, la femme enquêtrice pour un institut d’études qui remplit elle-même tous ses questionnaires, ou encore le clochard acteur face à son public dans le métro : Avec une virtuosité pour tordre le langage et nous faire profiter de son pouvoir de subversion, un sens aigu de la provocation, les shots du travail précaire d’Yves Pages seraient totalement jubilatoires, si tout ceci n’était pas si familier.
Touchée, coulée.