Tsvétaeva donne ici une vision bouleversée de Phèdre, une tragédie éclair, rapide comme le malheur, en quatre tableaux et peu de pages. Une tragédie qui vous traverse les nerfs et les passions. D'une claque, d'un coup de fouet Tsvétaeva fouette le sang classique pour mettre ses personnages aux abois. Phèdre aura elle, moins de succès avec Hippolyte, cloîtré dans ses forêts sanctuaires d'Artémis.
« Louée soit Artémis pour tout ce qui hante / La forêt. »
Si la trame de l'histoire reste connue, Tsvétaeva explore des aspects particuliers. La dévotion d'Hippolyte à Artémis, son opposition à l'Amour-Aphrodite-Phèdre (comme dans Hippolyte porte-couronne d'Euripide), sa fidélité à sa mère derrière ce culte et dans cette misogynie qui l'amène à renier l'amour de Phèdre, qui vient à lui, la bouche pleine d'un miel noir, doux, amer, lyrique :
« PHEDRE : ... Rien qu'une fois ! L'attente m'a calcinée !
Tant que j'ai des bras ! Tant que j'ai des lèvres !
Ce sera le silence ! Ce sera le regard !
Un mot ! Rien qu'un mot, un seul !
HYPPOLITE : Ordure.
Fin du tableau »
Enfin, la subversion est étonnante dans le personnage de la nourrice-entremetteuse, mère dévorante, poussant à renier un vieux Thésée phallocrate et indésirable, à célébrer les joies du plaisir et de l'adultère. Et jusqu'à Thésée, passé sa colère, passe lui aussi par la dignité et l'indignité des passions.
Tout cela est accompli de main de maître, on lit, tenu en haleine, pris par le formidable élan poétique qu'insuffle Marina Tsvétaeva à cette tragédie dont le destin trop connu n'enlève rien à la force et la plasticité du mythe, jusqu'à ce que « les os de Phèdre embrassent les restes d'Hippolyte. »
N.B. : Cela donne envie de relire Euripide plus que Racine, et surtout le magistral, sublime Penthésilée de Kleist, où l'on retrouve une pareille férocité, amoureuse, contradictoire et sous le signe d'Artémis.
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