Quoi qu’il en croûte
Et pourquoi n’y en aurait-il que pour les génies, les doués, les talentueux ? Pierre Grassou, dit Fougères, est un peintre médiocre, il l’a compris – ou peut-être est-il trop médiocre pour le...
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le 4 déc. 2024
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Et pourquoi n’y en aurait-il que pour les génies, les doués, les talentueux ? Pierre Grassou, dit Fougères, est un peintre médiocre, il l’a compris – ou peut-être est-il trop médiocre pour le comprendre tout à fait, mais en tout cas il en a pris son parti. Cela ne le rend pas moins médiocre, mais certainement plus sympathique, d’autant qu’il sait reconnaître le talent chez les autres, chez Bridau par exemple, et « il donnait des conseils excellents, semblable à ces feuilletonistes incapables d’écrire un livre, et qui savent très bien par où pèchent les livres » (p. 1102 en « Pléiade »).
Et puis, artiste ou artisan, il est peintre, ce qui pour Balzac suffit à le placer au-dessus du malhonnête Magus le marchand d’art d’une part, et d’autre part au-dessus de la famille Vervelle, père, mère et fille dignes représentants d’une bourgeoisie digne des portraits à charge de Flaubert – « Abyssus abyssum, le bourgeois attire le bourgeois » (p. 1106). De tout ce monde-là, Fougères est le seul à comprendre la peinture et à la priver de toute dimension pécuniaire (1).
Il épousera Virginie Vervelle, conclusion aigre-douce, et un ancien compagnon d’atelier pourrait lui écrire ce qu’Eugénie écrit à Charles dans Eugénie Grandet, « Soyez heureux, selon les conventions sociales auxquelles vous sacrifiez nos premières amours. » (Les amours en question étant dans ce cas la passion pour la peinture.) Autre indice du caractère grinçant de cette fin : Grassou vivra à Ville-d’Avray : Balzac a remarquablement écrit Paris et situé en province des œuvres remarquables, mais sous sa plume la banlieue tient lieu de purgatoire.
L’histoire de ce Pierre Grassou qui, « né pour être un vertueux bourgeois, venu de son pays pour être commis chez un marchand de couleurs, originaire de Mayenne et parent éloigné des d’Orgemont, s’institua peintre par le fait de l’entêtement qui constitue le caractère breton » (p. 1096) n’est certes pas le récit le plus subtil de La Comédie humaine, ni le plus riche. Mais enfin rétrospectivement on peut le lire comme un intéressant trait d’union entre le récit « réaliste » de la première moitié du XIXe siècle, à la Balzac, et une forme plus tardive de « réalisme », celui-ci plus narquois, tel qu’un Flaubert voire un Huysmans le pratiquera plus tard.
(1) Il est amusant de voir que si Balzac a toute sa vie couru après les rentrées d’argent, il a aussi parfois semblé défendre l’idée très aristocratique d’une saleté de l’argent. – Autre formule sarcastique marquée au sceau d’une conception aristocratique de la société : « Par une étrange bizarrerie, depuis que la porte s’est ouverte à tout le monde, on a beaucoup parlé de génies méconnus » (p. 1092). Lui donnera-t-on tort pour autant ?
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le 4 déc. 2024
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