Je ne suis pas un farouche admirateur de Piranèse, et Nodier n’était pour moi qu’un nom avant que je lise Piranèse de Nodier. Cet essai d’une trentaine de pages ne m’a pas appris grand-chose sur l’architecte et graveur italien, car il n’en parle que très peu : Piranèse fait office d’exemple, dans un texte dont le véritable sujet est ce que Nodier appelle la monomanie réflective, ou idée fixe dans un langage plus simple (c’est l’auteur qui le dit), ou « la divinité anonyme qui préside aux châteaux en Espagne » (c’est à nouveau l’auteur, p. 5), ou encore marotte dans certaines traductions du Tristram Shandy (c’est moi qui l’ajoute).
Comme dans le Tristram Shandy, d’ailleurs, l’intérêt de Piranèse vient d’un ton assez proche de la conversation et des digressions qui l’émaillent. Ce que j’appelle ici digressions n’est pas nécessairement long – il peut s’agir d’une phrase : « Il faut prendre la psychologie comme on la trouve, et le reste aussi » (p. 2). Il peut s’agir de deux ou trois pages, comme le récit d’un épisode de jeunesse qui s’ouvre par « J’avais quatorze ans et une passion qui n’était pas encore l’amour : l’amour, hélas ! vient trop tard et s’en va trop tôt » (p. 10) – on notera la digression dans l’annonce de la digression.
Nodier, comme il convient dans ce genre d’écrits, montre beaucoup d’esprit : ce ton badin qui est celui de la causerie s’y prête. Il a généralement ses dangers, principalement la pédanterie – dans laquelle Piranèse ne sombre pas – et la superficialité, à laquelle ces « contes psychologiques » n’échappent pas toujours. Car si on n’y trouve rien de bien poussé sur les Prisons imaginaires (« Les ruines de Piranèse vont crouler. Elles gémissent, elles crient », p. 18, et c’est à peu près tout), on n’y relève pas grand-chose non plus sur cette idée fixe « fort commune, surtout chez les peuples dont la civilisation s’use à force de prétendus perfectionnements » et « qui se dénoue ordinairement par le suicide » (p. 2-3) : tout cela, les moralistes des XVIIe et XVIIIe siècle l’avaient déjà relevé.
L’auteur lui-même le dit : « J’ai remarqué qu’il valait mieux, dans l’intérêt d’une causerie instructive, être obscur quelques minutes que d’être longtemps ennuyeux » (p. 3-4). Cela semble sous-entendre, et là aussi réside l’esprit de Nodier, que la brièveté s’oppose à l’ennui – ce que Piranèse semble corroborer – et qu’une causerie ne peut pas être à la fois obscure et ennuyeuse, ce texte n’étant ni l’un ni l’autre.

Alcofribas
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le 14 févr. 2019

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