Difficile de lire un livre objectivement quand on en connaît l'auteure, qui vous en a offert un exemplaire dédicacé, que vous avez laissé dormir pendant plus d'un an...
Il s'agit d'une histoire non pas de la piraterie, mais de sa représentation dans l'imaginaire collectif. Un ouvrage généreux, avec un plan chronologique (les pirates dans l'Antiquité, aux XVIe-XVIIIe s., puis la cimentation de l'archétype à l'âge romantique, et enfin les résurrections de notre âge moderne.
Ouvrage riche d'abord car Julie Proust-Tanguy, avec la rigueur et l'enthousiasme qui la caractérisent, ne se restreint pas à la piraterie de la mer des Caraïbes : l'ouvrage comporte aussi des pages fort originales sur la piraterie japonaise ou chinoise (je suis simplement étonné qu'il n'y ait pas davantage de choses sur la Malaisie et Java, ou qu'il n'y ait pas de développement sur les mémoires de Trelawney). Ensuite car l'auteure donne à son lecteur les clés pour se forger sa propre opinion : avec une érudition qui n'est jamais étouffante, grâce à un style fluide, agréable et vivant, qui sait savourer les vocables rares sans être précieux, Julie Proust-Tanguy présente aux yeux du lecteur citations et pistes de lectures multiples. Pour avoir étudié l'Antiquité, je n'en ai pas moins découvert des citations que je ne connaissais pas et qui m'ont donné envie d'aller voir plus loin, preuve s'il en est besoin que le travail de recherche en amont a été solide et monumental.
Mais "Pirates !" ne se résume heureusement pas à une série de fiches de lecture mises bout à bout. Mme Proust-Tanguy compare, soupèse, dresse des ponts, et au final fournit un véritable essai sur l'évolution de la figure du pirate. Les illustrations, à raison d'une par page, sont évocatrices, même si l'on sent que l'éditeur a fait pression pour avoir le plus possible d'images libres de droit.
Alors, que reprocher à ce livre ? S'il faut être un gros connard (ce que je suis), je soulignerai un emploi un peu agaçant et théâtral du terme de "ruffian". Surtout, le livre se veut davantage un ouvroir de la curiosité du lecteur (comme en atteste l'abondante et fort alléchante bibliographie) qu'une réflexion conceptuelle. Peut-être aurait-il gagné à être un peu davantage problématisé (en insistant sur cette dimension de résistance à un pouvoir central, qui n'est pourtant jamais le même ?).
Il y a aussi quelques problèmes de plan : la partie sur "L'âge d'or de la piraterie" anticipe parfois sur les adaptations cinématographiques. Mais mon principal reproche serait que le spectre de recherche est trop large. A prendre le terme de "pirate", "piratage" au sens large, on en vient à parler de "Paprika", "Air force One", "Inception" ou de "La mort d'un pirate" d'Adrian Johns, ce qui certes a un sens, mais qui finit par noyer le lecteur sous les références. L'intérêt s'émousse un peu dans le dernier chapitre. Un peu comme une salade composée dans laquelle on aurait mis trop de (bons) ingrédients. On ne parle plus vraiment de pirates, sur la fin, mais de contestation au sens large...
A titre personnel, je ne partage pas l'idée optimiste que la dilution du mythe du pirate ne l'empêche pas aujourd'hui, de rester le symbole d'une utopie qui permettrait de tout recommencer. Je trouve au contraire que le pirate a été définitivement piégé par le merchandising. Mais quand on aime un sujet, sans doute qu'on évite des jugements aussi tranchés.
Voilà tout le mal que je pense de ce livre sinon stimulant et généreux, qui fournit en somme un état des lieux de ce que donne une recherche poussée sur l'image du pirate en 2013, et que je recommande.
A mon avis son prochain projet sur les sorcières pourrait s'avérer plus périlleux...