L'action commence dans un clan d'êtres humains vivant primitivement, au rythme d'une planète comparable à la Terre, mais qui met 60 ans à tourner autour de son étoile. Les saisons durent donc quinze de nos années, et les autochtones, pour la plupart, ne les connaissent qu'une seule fois dans leur vie. Cela influe sur leur représentation du temps, limité au Présent et de l'espace, limité à leur territoire. Leur mode de vie en devient très simple et peu enclin à l'évolution.

Près d'eux vivent des colons Terriens en exil depuis 900 ans Terrestres, plus ou moins oubliés de la civilisation galactique de l'Ekumen, et touchés par une stérilité croissante qui leur ferme l'avenir. Si leur culture se rapproche de la nôtre, leurs conditions de vie sont réduites à celles d'une civilisation médiévale, du fait de leur isolement mais aussi de directives légales qui les ont obligés à vivre au niveau technologique des autochtones, pour ne pas perturber leur civilisation. Les deux groupes peuvent communiquer, mais leurs particularités génétiques les empêchent de s'hybrider. Ils vivent donc à part l'un de l'autre, ayant avec le temps développé une méfiance chronique et même une xénophobie à peine retenue.

Avec l'arrivée du très long Hiver, l'intrusion d'un autre peuple humain autochtone, nomade celui-ci, menace par son comportement prédateur l'existence des deux peuples voisins. Ce danger mortel les forcera-t-il à se reconnaître et à s'allier pour survivre aux envahisseurs ?

Le récit doit être approché avec patience pour être apprécié, d'où le 9/10 que je lui inflige au lieu de 10. "Planète d'exil" fait partie de ces romans d'Ursula Le Guin dont l'intrigue est secondaire, tout en restant cohérente. L'auteure y exerce son talent pour la descriptions des paysages, de la psychologie des personnages et des situations. Tout cela est mis au service d'une problématique d'anticipation sociale, noblesse du genre.

Ursula Le Guin est la fille unique d'anthropologues californiens qui ont eu le privilège d'être les spectateurs compétents et attentifs d'une très rare confrontation entre la plus moderne des civilisations humaines, les Etasuniens, et les derniers représentants d'une civilisation restée à l'âge de pierre, les Amérindiens. Sa mère fut écrivaine et Ursula Le Guin a sublimé cette combinaison unique de savoirs transmis par ses parents pour l'offrir au genre de l'Anticipation avec un immense talent. Ses romans sont tissés de réflexions originales et profondes, que le lecteur gagne à extraire d'une trame romanesque plus banale.

A l'heure où nous avons effacé la diversité de nos approches de l'univers pour adopter une Pensée Unique autour de la culture de masse, productiviste et financiarisée à l'extrême, "Planète d'exil" vient nous rappeler que sans le regard de l'autre, sans ses différences, le fascisme où nous mène la représentation unique de notre rapport à l'environnement peut nous condamner, malgré notre puissance, à la disparition par inadaptation à des changements inédits. Ce roman d'Ursula Le Guin trouve donc, parmi la constellation de ceux qu'elle a écrit, sa place au firmament de l'anticipation de qualité.

Humblement, j'en remercie cette femme extraordinaire qu'était Ursula Le Guin.

Edonor
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le 11 févr. 2024

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