Incontournable Novembre 2022
Agréablement surprise par la richesse de ce roman relativement court, "Plume et l'Ombre du dragon" propose une héroïne remarquable, mais également une ode au deuil lié à la disparition d'un parent et de l'importance des histoires.
Plume est une piratesse d'ombres, ce qui fait d'elle une chapardeuse professionnelle. La jeune fille a la capacité de voir et de convaincre les ombres de quitter leur maître, qu'elle peut ensuite vendre au marché noir contre un peu de nourriture. En réalité, elle ne le fait pas souvent, car elle garde avec elle un nombre appréciable d'ombres de toute sorte, avec qui elle partage sa grotte. Chaque nouveau membre partage avec eux son Histoire. Voilà qu'en libérant l'ombre d'une licorne peureuse, Plume découvre par son ombre, Bucéphale de son nouveau nom, qu'un ultime dragon existe encore. Que d'histoires elle doit connaître cette ombre! L'audacieuse et intrépide piratesse s'embraque donc pour une aventure, en quête de cette ombre.
La critique va contenir des divulgâches - et des ombres sympathiques.
Déjà, quelle idée charmante que d'avoir imaginé une voleuse d'ombre telle que Plume. Son tempérament frondeur, son culot et sa détermination me rappelle le personnage désormais célèbre de Lyra Ballecroix, de la Croisée des mondes. Je trouve de plus en plus de ces héroïnes charismatiques, culottées et courageuses dans la littérature jeunesse. Juste ce mot-ci, il y a eu "Une vie pour Matzi", "Ilona Melville et les zéros de l'histoire", ainsi que "Bande à part". Bref! Je me réjouis de voir ces héroïnes que rien n'arrête et qui ont une impertinence délicieuse. Plume a néanmoins une belle empathie, qui lui confère ce charme attachant auxquels semblent sensibles les ombres. Il s'agit davantage d'une relation de famille qu'une relation de maître-domestique qui caractérise la relation de Plume avec ses ombres. Alors qu,elle devait vendre Bucéphale au marché noir, elle y renonce, quand elle voit à quel point Bucéphal lui est reconnaissant de s'être fait libéré.
Dans cet univers Fantasy aux inclinaisons de Merveilleux, de Contes et de Folklore, les Ombres sont les doubles de chaque entité vivante. Ils sont coincés sous leurs pattes et ne possède pas de noms. C'est donc toujours étonnés d'avoir été "vus" qu les ombres de Plume la rencontre. Ils se donnent alors un prénom et raconte leur histoire. Nous avons tout un tas d'origines: une belette, une licorne, un poisson volant, une reine sans royaume, un tricératops à trois tête, un renard à neuf queues, un loup déguisé en grand-mère, un serpent-liane narcoleptique, etc. Plume peut percevoir leur texture et ils disparaissent dans un environnement trop sombre. Ils voyagent généralement dans la sacoche de Plume.
J'aime beaucoup qu'on malmène le stéréotype de la licorne idéale, ici petite, mollassonne, froussarde et pas franchement magnifique.
Plume a perdu sa mère, mais elle entretient l'idée qu'elle l'a abandonnée pour vivre des aventures de piratesse. Cependant, on comprendra vers la fin qu'il n,en est rien. Cette maman aimait sa fille, elle ne l,aurait pas abandonnée. La réalité est qu'elle a souhaité sauver le dernier dragon, qui mourrait littéralement d'ennuis, plongé dans un état catatonique. Hélas, ce dernier n'aurait pas supporter de perdre son unique lien social et l'a dévorée et dépossédée se son ombre, pour qu'elle lui tienne compagnie.
Le thème de la solitude est donc central. Plume craint d'être seule au monde, au point de faire du déni quand à la véritable disparition de sa mère. Elle comble ainsi son vide affectif avec les ombres, même si une amitié sincère semble caractériser les liens entre elles. Le dragon est dans une situation différente, mais teintée du même sentiment. Dernier de son espèce, porteur de milliers d'histoires, il vit la malédiction d'être une créature quasi immortelle, alors que s'enchainent les vies des autres êtres vivants. Paradoxe amusant, il est en froid avec son ombre, qui aspire à plus de liberté. La seule réelle entité qui pourrait meubler sa vie sociale est aussi la seule dont il ne peut rien tirer, hormis des morsures aux fesses.
Le dragon a aussi deux défauts majeurs: il ne fait pas confiance et se montre têtu. Deux tares importantes en relation, peut importe la nature de cette relation. C'est ce qui l'a d'ailleurs ramené à la case départ quand il a dévoré la mère de Plume. Cette dernière lui en veut d'ailleurs beaucoup, de l'avoir dépossédé de sa mère. Pourtant, Plume va trouver la force de lui pardonner, alors à deux doigts de lui voler son ombre. La jeune fille comprend que la solitude peut rendre fou. Elle donne cependant le choix à l'Ombre du dragon de rester avec lui ou pas, car c'est elle qui en a payé les frais en demeurant toujours confinée dans l'ombre, incapable de sortir.
Ultimement, Plume propose son amitié au dragon esseulé, elle même en ayant besoin. la différence est que plume a su se bâtir des amitiés, alors que le dragon l'impose. C'est ce qui différencie une relation saine d'une relation malsaine, d'ailleurs. L'amitié, c'est comme l'amour, ça ne s'impose pas, ça se partage.
Petit focus sur le texte: Plume est désopilante par moment. Elle y a de se commentaire pas toujours très délicats ni polis, déteste l'inaction et possède un sens aiguisé de la justice. Elle gagnera à être connu du dragon, mais également d'un phénix. C'est une jeune fille vraiment fière et orgueilleuse, qui cherche toujours à garder la face, même devant une mort imminente. Ça c'est pas banal, quand même. C'est également la narratrice.
La dernière partie du roman, où Plume rencontre le dragon et l'ombre de sa mère, est particulièrement poétique, c'était inattendu ça aussi. C'est le passage où Plume démontre qu'elle a grandit, qu'elle a évoluer et qu'elle fait le choix de passer à autre chose, de passer l’ultime étape de son deuil: l’acceptation.
Enfin, je remarque que la couverture est fabuleuse. le graphisme me rappelle la BD "Bergères guerrières", dont l’héroïne aussi en a dedans!
Un super petit roman dont l'action n'empêche pas une certaine profondeur et je met au défis les jeunes garçons ne pas tomber sous le charme de cette piratesse effrontée et débrouillarde. J'aime bien que cette histoire tienne en un livre, surtout pour mes jeunes lecteurs, en librairie, qui préfèrent les tomes uniques ou pour qui la lecture est occasionnelle, plutôt qu'assidue.
Une petite pépite!
Pour un lectorat du second cycle primaire, 8-9 ans.