Poème sur la loi naturelle et sur le désastre de Lisbonne par Luc Vialle

Le poème sur la loi naturelle et le poème sur le désastre de Lisbonne constituent une oeuvre complète et fascinante . Tout d'abord car ce qui intéresse Voltaire de toute évidence est de concevoir une poésie comme un récit .
Avec le poème sur la loi naturelle , nous sommes d'abord déroutés . Déroutés par sa construction qui fait plus penser à l'essai philosophique puisque c'est effectivement un texte divisé en quatre parties ; parties qui commencent toutes par un préambule ...on est également surpris par cette façon qu'a Voltaire de recourir à de nombreuses références historiques , religieuses . Cette surprise est très loin d'être négative ; au contraire , la modernité de Voltaire ne tient pas qu'au propos qui est une illustration presque parfaite des enjeux des Lumières du XVIIIè siècle qui tendent justement au progrès avec comme thèmes l'homme et sa place dans la société , le bien et le mal , l'altérité , le rapport à la religion ; loin de ça car la vraie modernité dans le texte de Voltaire est de casser les genres : la poésie que l'on considère souvent ( et plus ou moins à tort ) comme un genre figé , avec des règles devient au contraire le lieu de la mouvance . Et effectivement ici , la poésie a une véritable force qui est celle d'invoquer Dieu et cela est d'autant plus évident à la lecture de la prière qui apporte une conclusion à ce texte . C'est aussi une poésie de l'image , qui donne à voir et à ressentir ( Voltaire fait ainsi apparaître par l'écriture l'Inquisition et sa cruauté ...) . Et cela se confirme sur tous les points avec son très beau texte sur Lisbonne . Ce qui est beau avec "Le désastre de Lisbonne" , c'est dans un premier temps l'évidente complémentarité qu'il a avec celui que nous venons d'évoquer ( Dieu y est toujours présent ; la question du bien et du mal aussi ) mais c'est plus encore , la narration du poème où l'on note une alternance entre le "je" de l'écrivain et le "nous" qui est celui des victimes du désastre . Et en ce sens , il y a une espèce de mutation permise par l'écriture : une mutation qui est celle d'une personne à une autre , d'un singulier à un pluriel , à un narrateur qui se transforme en victimes . Et c'est cela qui fait de la poésie un genre de l'incarnation . L'écriture se vit et dans le cas de Voltaire , l'écriture prend sens par la présence céleste divine . Pour Voltaire , au delà du désastre , il existe une espèce d'espoir qui est présent parce que un Dieu bienveillant est en nous . Et c'est ce qui est en nous qui peut changer le monde .
On peut parfaitement considérer que cette vision de Dieu est quelque peu mièvre , que tout cela est une énumération lourde de bondieuseries ...certes mais ce qui est passionnant , avant tout c'est de voir comment un auteur se met à nu pour aller vers nous car ces deux poèmes que sont "la loi naturelle" et "le désastre de Lisbonne" gardent une dimension clairement engagée et orientée et politiquement et religieusement . C'est clairement cette mise à nu et cette façon de passer du moi au nous , de l'intime à l'universel qui fascinent et cela malgré le fait que nous ne possédions pas forcément les mêmes convictions que lui ...