André Dhôtel, plus connu pour ses romans, est déjà mort depuis neuf ans lorsque paraissent, sous l’impulsion de Jean-Claude Pirotte, ces merveilleux poèmes. Et dès les premiers vers déjà, le poète s’efface : « Je dirai, je dirai/ mais les mots me manquent/ dès que je vois la prairie/ insolite et sans mesure. »
Le poète laisse donc la place à la nature, mais pas une nature objective, une nature passée sous le filtre de l’œil du regardant. « Il faudra te cacher/ pour mieux voir la fleur odorante ». Car quoi de mieux que la nature pour rehausser le pauvre quotidien ? A la manière de Jean Follain, Dhôtel écrit : « Une chaise, une table, un lit/ rien d’autre sinon la beauté/ par-delà l’horizon d’automne/ des grandes pluies qui tombent/ sur les derniers chardons. »
Car oui, pour Dhôtel mieux vaut le lieu que le je. « J’écris rien que pour retrouver/ en quel lieu j’eus la révélation/ parce que j’ai oublié le lieu/ ainsi que toute la révélation. » Nous voyons bien que le lieu importe plus que le reste, puisque c’est le lieu que cherche à retrouver le poète par le biais de l’écriture.
Parlons un peu de l’écriture, mais pas trop. Dhôtel écrit en vers libres, parfois en prose, à l’occasion de deux poèmes. Mais ici et là vient se glisser une rime, souvent pauvre, qui donne au poème une saveur toute particulière. « N’oublions jamais la maison/ où pénétra l’amour patient/ avec la brise lumineuse/ de l’infini et du printemps. » Parfois on croit reconnaître un autre poète sous sa plume, ici Desnos : « Non il n’était pas une fois/ mais cinquante fois peut-être/ toutes pareilles et de ce fait/ uniques et hallucinantes. » écrit Dhôtel ; alors que Desnos écrit : « Il n'était pas une fois/ ou plutôt si/ II était il était une fois » ou encore : « Il était une fois/ Une seule fois peut-être/ Une femme et un homme qui s’aimaient ». Dhôtel brocanteur du poème.
Au fur et à mesure des poèmes, le poète disparaît, meurt dirait-on, et il semble le savoir. « C’était la vie, ce sera la vie/ une herbe étoilée/ un regard rapide/ un amour sans fin. »
Pourtant déjà l’amour prend fin et l’oubli est partout. Le poète le sait ça aussi, et l’exprime, dans un poème d’une bouleversante simplicité, d’un lyrisme absolu, que je ne peux m’empêcher de citer entièrement ici, en guise de mot de la fin :
Tu dis que la plaine
nous masque tous les chemins
que n’existe plus la traînée
des eaux qui balaient la contrée.
Je te réponds : « Mais, mon amour… »
Tu déplores que je t’oublie
et tu crois m’oublier toi aussi
parce que nous sommes séparés
par le temps comme par l’espace.
Je te réponds : « Mais, mon amour… »
Tu dis qu’un jour viendra
où je ne saurai plus qui tu es
ni toi qui je suis.
Je te réponds : « Mais, mon amour… »
Il est sûr que je ne pourrais plus
dessiner ton visage en mon cœur
en ma solitude où tout s’éteint.
Rien de plus vrai, on ne révèle pas
ce qui disparaît ce que l’esprit
refuse de décrire de définir.
Je te réponds : « Mais, mon amour… »
Tu ne sais plus que j’existe
ni même que j’ai existé,
je suis comme le reflet
d’un être qui ne fut pas
et qui ne sera pas.
Je te réponds : « Mais, mon amour… »
Nous sommes plus que des étrangers,
comment est-ce possible puisque
des étrangers sont tout au fond
de différentes contrées
sans frontières communes.
Or nous ne savons même plus
ce qu’est une frontière.
Donc perdus l’un pour l’autre
étant déjà perdus dans le monde
Je te réponds et toujours
je répondrai : « Mais, mon amour… »