Bonjour à tous,


Aujourd' hui, je vais faire la critique de ce recueil de poésies, pas si connu que cela, de ce génie de la chanson française.


Léo Ferré (1916 - 1993), auteur, compositeur, interprète et poète fut une figure marquante de ce XXème siècle.
La poésie aime la beauté et fuit la laideur.
Aimer requiert, quand on vit dans la misère matérielle, intellectuelle, sentimentale, une révolte de soi sur soi, vers les autres.
Fuir la laideur, c'est fuir le conformisme, cette veulerie des pensants mécaniques, qui ne sait plus penser droit ni de travers, "mutins de Panurge" comme le dit Philippe Murray.
Aimer, fuir, aller vers : la dynamique ne peut naître de la mort. La vie est dynamique.


« La poésie contemporaine ne chante plus. Elle rampe. Elle a cependant le privilège de la distinction, elle ne fréquente pas les mots mal famés, elle les ignore. » Léo a compris depuis longtemps que la poésie perdait son aura, qu’elle s’abimait dans une certaine facilité : « Les écrivains qui ont recours à leurs doigts pour savoir s’ils ont leur compte de pieds ne sont pas des poètes : ce sont des dactylographes ». Il n’aime pas qu’on plaisante avec l’alexandrin, « la poésie contemporaine qui fait de la prose en le sachant », « L’alexandrin est un moule à pieds. On n’admet pas qu’il soit mal chaussé, traînant dans la rue les semelles ajourées de musique. »


« La poésie libérée c’est du bidon
Poète prends ton vers et fous lui une trempe
Mets-lui les fers aux pieds et la rime au balcon
Et ta Muse sera sapée comme une vamp. »


Chez Léo la rigueur de l’alexandrin s’accouple avec l’anarchie du texte dans des vers d’une grande sensualité, des vers charnels, des mots qui font l’amour, des rimes qui chantent. Des mots comme des gifles, comme des lamentations, comme des caresses, comme des pleurs, des vers qui copulent en une orgie littéraire, en une danse païenne comme un ballet de « Walpurgis », des vers à faire pleurer sur des airs de jazz ou de blues ou des vers guillerets à faire valser sur un air d’accordéon. Des vers qui crèvent la faim et qui veulent pendre les bourgeois à la lanterne.


« Et qui viv’nt en rêve
Pour gagner du temps. »


Mais si le poète hurle, crie, invective, pleure, se lamente, il faut aussi, sous sa carapace écorchée, faire sourdre les élans de tendresse qu’elle masque mal, la fragilité du poète, sa sensibilité à fleur de peau.


« Quand la raison n’a plus de raison
Et qu’nos yeux jouent à s’renverser
Et qu’on n’sait plus qui est l’patron
Quand la raison n’a plus raison »


Le verbe copule avec l’anarchie et le poète prend son pied, hanté par le sexe jusqu’à la débauche, poursuivi jusqu’au fond des bouges les plus louches, il bouffe du curé avec un appétit orgiaque, se déchaînant dans « L’Opéra du ciel », vomissant son désespoir à la face de ce Bon Dieu qu’il rejette mais qu’il ne cesse d’invoquer car la mort l’obsède comme une vague d’angoisse, comme une invitation au voyage au pays de Satan. Il rejette l’ordre établi et les institutions qui broient les individus dans un magna de société dépersonnalisée, pétrifiée dans son académisme, « Il se meurt doucement d’Académie française ».


Eh oui Léo on pourrait, nous aussi, interpeller Popaul et lui demander dans une complainte d’un autre temps :


« Qu’as-tu fait Popaul, qu’as-tu fait
De Saint Germain-des-Prés. » ?


Mais rien n’est définitivement perdu, le poète nous a laissé quelques vers, quelques belles rasades d’espoir à ingurgiter, sans modération, jusqu’à l’ivresse :


« Je suis la raison d’espérer
De l’anarchiste et du poète
Et je tiens leurs idées au frais
En attendant qu’on les achète »


Léo Ferré, homme révolté non pas pour le plaisir médiatique de l'être (traduction : décalé) est un homme qui s'engage dans la vie. Il ne donne pas dans la dentelle. Les hypocrisies, les convenances mortifères l'indisposent comme laideurs et liberticides. Sans doute, trop à mon goût de catholique, s'en prend-t-il à l'Eglise. Mais est-ce bien à l'Eglise qu'il s'en prend ou plutôt à certains de ses serviteurs qui n'y croient pas (au message d'Amour) ? Ne fustige-t-il pas ceux qui font profession d'être bien et agissent autrement, se défigurant leur humanité ?


Les poèmes sont autant de chants à la vie, dure, pénible, matériellement enracinée, laissant entrevoir le coin de ciel bleu, celui de l'espérance et de de la croyance militante en la Beauté.


Léo Ferré est un grand artiste. Ses plaies, encore saignantes et odorantes, bousculent notre mode de pensée : pour notre bien, il sait communiquer ce goût du Beau, du Bon, de l'amour.


Grand amateur de Léo Ferré, je recommande vivement ce livre à tous les fans de ce poète exceptionnel ou même uniquement par amour pour la poésie si vous n'êtes pas vraiment client de l'artiste qu'il était.


Ferré c'est la poésie. La Poésie.
Celle qui ne concède rien, qui tente tout, qui prend les mots, les accouple, les étire, les soude, les ourle, qui les tend, qui trousse le vent, qui court devant le temps.
Les mots de Ferré c'est le Chant.
Si vous aimez Ferré, lisez ses vers. Écoutez le.
ça grouille, ça bouge, c'est frémissant, c'est un tambour, c'est du cuivre, c'est une balle d'or tiré à bout touchant dans la gueule des méchants.
Anarchie... A comme amour, comme ami, A comme avec, comme arme, comme arrêtez vos conneries !
Lisez Ferré, clamez, déclamez le.
Il a injecté dans le ventre de la Muse tout ce qu'il contenait.
C'est là que vous le trouverez !


Les mots de Léo sont crachés, ils sont hurlés à la gueule des gribouilleurs, ils sont l'incantation d'un magicien qui colle au sol, qui affirme une liberté totale et scandaleuse, qui ne se laisse endimancher par aucune religion, aucun parti, aucune école poétique. Il sent bien sûr son Baudelaire et son Rimbaud, il poétise la charogne, la crevure et l'azur, il se laisse enivrer par des filles publiques, il renifle et il rote, mais toujours avec élégance et avec grandeur. Léo Ferré a le mot leste et le cri grave. Il dit sans fioriture mais de travers ce que son ventre injecte au papier, ce que le micro aspire de sa voix, ce que le chant magnifie, et sa poésie cogne le lecteur trop feignant, qui se réveille d'une torpeur dans laquelle jamais Léo ne se serait vautré.


En lisant ce livre écrit en 1956, vous entendrez, je vous le souhaite, la voix d'un Léo Ferré, en colère, tapant sur l'église,
"Ce matin ça sentait la morue à l'église / Curés dépenaillés sacrés au coup de blanc / ça fait sur l'estomac des emplâtres sanglants"
sur ce monde qui marche à l'envers.
"Madame la misère écoutez le vacarme / que font vos gens le dos voûté la langue au pas / quand ils sont assoiffés ils se soûlent de larmes / quand ils ne pleurent plus ils crèvent sous le charme / de la nature et des gravats.
L'omniprésence de Paris, l'amour
"Et si tu meurs devant je suivrai à la trace / comme le chien perdu sans collier ni patée / recherche tendrement son chagrin à la place / où son bonheur si bêtement s'est arrêté."


Lisez donc :


La poésie s'vend mal


" j'ai rancard ce matin avec la Vérité
Et je n'ai pas un flesch pour lui payer un verre
Je zyeute aux alentours un bourgeois à taper
Que dalle c'est l'hiver et puis c'est la vie chère


Il faudrait que je fourgue un bidule important
Ma veste d'intérieur... j'en prendrai pas dix balles
La machine à écrire... elle est aux impotents
Salope qui me fait des Q aux intervalles


Le clebs c'est un vieillard... mieux vaut n'en pas
parler
Et puis je l'aime bien il a piqué le rhume
Ce con il sait pourtant que ça me fait râler
Pens'-tu! faut que monsieur ait sa part de bitume!


Y'a pas d'erreur pour le confort je suis paré
Mon poêle fume et mes chaussettes s'encanaillent
Tant pis je vais lui dire à la Môm' Vérité
C'est pas des coins pour elle ici... faut qu'ell' s'en aille!


Et devant mon croûton qui m'affûte les os
Je pense à l'imprudent qui lui paiera le pot "


Dix ans déjà que Léo nous a quittés, nous laissant inconsolés et,
aujourd’hui encore, amers au souvenir de tous les jugements méprisants qu’on a portés sur ses tentatives de porter à la connaissance d'un vaste public et la musique classique et la poésie.
Aujourd'hui, il apparaît comme aussi (sinon plus) musicien que poète.
Dès l’âge de 5 ans, Léo dirige des orchestres imaginaires. Vers dix ans, c'est le choc à lÔécoute de la musique de Beethoven. Il dirigera (tout en chantant) de véritables orchestres (dont celui de la RAI, rebaptisé orchestre symphonique de Milan, et celui de la RTBF) mais toujours en porte-à-faux de la critique et des tenants du monde musical en place. Toujours en marge, Léo, même des mouvements ultra gauchistes qui lui reprocheront de faire du fric avec ses idées alors qu’il fut celui qui porta à la connaissance du plus grand nombre le drapeau noir de l'anarchie, mot qu’il découvrit par sa définition du dictionnaire (« Négation de toute autorité d'où qu'elle vienne ») et qu’il redéfinira comme suit : « L'anarchie est une formulation politique du désespoir ».


Pour terminer, quelques vers de ce splendide texte qui a donné son nom aux « Editions Ferré » et qui fut écrit sur une île de Bretagne achetée par Léo en 59.


La marée je l'ai dans le coeur
Qui me remonte comme un signe Je meurs de ma petite soeur
De mon enfant et de mon cygne
Un bateau ça dépend comment
On l'arrime au port de justesse
Il pleure de mon firmament
Des années-lumière et j'en laisse
Je suis le fantôme Jersey
Celui qui vient les soirs de frime
Te lancer la brume en baisers
Et te ramasser dans ses rimes
Comme le trémail de juillet
Où luisait le loup solitaire
Celui que je voyais briller
Aux doigts du sable de la terre
Rappelle-toi ce chien de mer
Que nous libérions sur parole
Et qui gueule dans le désert
Des goémons de nécropole
Je suis sûr que la vie est là
Avec ses poumons de flanelle
Quand il pleure de ces temps-là
Le froid tout gris qui nous appelle
Je me souviens des soirs là-bas
Et des sprints gagnés sur l'écume
Cette bave des chevaux ras
Au ras des rocs qui se consument
O l'Ange des plaisirs perdus
O rumeurs d'une autre habitude
Mes désirs dès lors ne sont plus
Qu'un chagrin de ma solitude. "


Lisez ce recueil, il le mérite. Léo est un pur génie, très souvent incompris. Tcho. Camarade maudit, Camarade misère.... @ +.

ClementLeroy
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le 15 mai 2015

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San  Bardamu

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