Avec le recueil de poèmes, Essenine n’éclaire pas le portrait du révolté Pougatchev mais il en grandit l’ombre dessinée par Pouchkine dans son roman, la Fille du Capitaine. De Pouchkine, plus passionnant est son essai, histoire de Pougatchev. Mi-bandit, mi-justicier, Emelian Pougatchev, le faux Pierre III, tiendra tête aux armées de la Tsarine Catherine II de 1773 à 1774. Opportuniste avec le pouvoir, cruel avec les bourgeois, compatissant avec les serfs, Pougatchev porte le chaos jusqu’aux portes de Moscou et, sans doute apeuré par la proximité de ce qu’il convoite, ouvre ses bras à l’échec familier et rassurant, préférant une légende réussie à une réussite sans histoire. Alors, comme toutes les légendes depuis Jésus Christ, Pougatchev choisit la porte des bois de justice et l'immortalité. Depuis, il se cache entre les steppes de la petite Russie et les sommets de l’Oural, entre l’océan des Zaporogues et les rivages des Bachkirs. Hantent les steppes bleues aciers forgées par les galops des diables Scythes, les figures de Stenka Razine, Kondrati Boulavine, Iemelan Ivanovitch Pougatcheff, forgerons des révoltes rouges à venir, des marins de Petritchenko, de la faucille noire de Nestor Makhno, du marteau vert d’Alexandre Antonov et de tous les révoltés non-blancs de la Révolution. Essenine, soutenu et protégé par Trotski, délaisse l’épopée, l’enluminure savante, le prétexte poétique, le panégyrique révolutionnaire. Les poèmes à Pougatchev constituent un médaillon bringuebalant au coup du mauvais garçon Essenine, un camée couvert de tags obscènes, une fresque tarabiscotée, imaginiste ; au final plus proche de l’aventure désespérée et ridicule (selon Essenine) de Nestor Makhno que le poète ne le laisse entendre. Une lutte contre le temps qui passe, le dit du regret des révoltes perdues et des Révolutions réussies ; ces arracheuses d’ailes des chevaux et des cosaques fougueux du Iaïk.
O, force d’autrefois, où es-tu, où es-tu ?
J’essaie de me lever – je ne peux même plus bouger mon bras.
Ah jeunesse, jeunesse ! Telle une nuit de mai.
Le merisier de tes clarines a cessé de tinter dans ce pays de steppes.
L’heure aurait-elle sonné ?
S’écroule-t-on sous son âme comme sous une charge ?
Hier encore, il semblait, il semblait…
Parfois sur la steppe, souffle furibonde la tempête qui soulève et emporte le lièvre et le lion. Sur nos têtes alors rugit le lièvre et glapit le lion. Reprenez des forces, lisez Essenine !
PS. Félicitations aux éditions alidades pour cette résurrection (Victoria et Guy Imart traducteurs) et ce bel objet, soigné.