"Il faut que tout soit rangé à un poil près dans un ordre fulminant."

Pour en finir avec le jugement de dieu, est avant tout une émission radiophonique, enregistrée et censurée. Le texte est dit par Artaud lui-même, Roger Blin et Maria Casarès. Ces poèmes mélangent rites indiens, guerre froide, dieu, l’être et cette curieuse notion de corps sans organe.


Le titre se comprend au sens littéral, il s’agit de se débarrasser de l’emprise de dieu sur le monde, de le supplanter, non pas en le réfutant, mais en proposant une autre type d’existence, descendue de la croix, "où dieu croyait l’avoir depuis longtemps clouée, s’est révolté, et, bardée de fer, de sang, de feu, et d’ossements, avance, invectivant l’Invisible afin d’y finir le jugement de dieu".


Dans son parcours à travers la littérature, Artaud a écrit un livre théorique assez connu, Le Théâtre et son double. Il soutenait que le théâtre occidental se trompait sur la nature du théâtre, que l’acte théâtral ne devait pas dépendre d’un texte. Il y développe tout une esthétique centrée sur les gestes, les cris, et se lance dans une critique de la représentation. On peut voir Pour en finir avec le jugement de dieu comme étant une tentative d’application de cette conception, appelé théâtre de la cruauté.


Ce n’est pas uniquement contre dieu ou le christianisme. C’est contre la culture. En effet, la culture, c’est une mémoire, un certain type de mémoire. Elle est constituée de paroles, de signes, de concepts identifiables et prétendants à la production de l’Homme. La culture est ce qui transforme l’homme, conçu comme simple corps organique, en un corps civilisé, maitrisant des références, des normes, des conventions etc… Cette opération ne se fait pas sans violence. Car cette mémoire précédemment évoquée n’est pas l’unique moyen de se faire un rapport au monde. Au lieu des paroles, peut se substituer des gestes, une parole destructurée (des cris par exemple). Bref, tout ce qui est considéré comme étant sauvage du point de vue de la culture. Ainsi, comme le dit Nietzsche, dans la Généalogie de la morale : "Cela ne se passait sans jamais supplices, sans martyres et sacrifices sanglant quand l’homme jugeait nécessaire de se créer une mémoire". Il suffit de penser aux lois et aux règles sociales des plus violentes pour forcer les individus à rester dans leur fonction, assignée par la structure sociale, et ce jusqu’à qu’ils pensent que cette fonction fait partie intégrante de leur identité. C’est toute une éducation qui consiste à remplacer un type mémoire par un autre type.




  • Et savez-vous ce que c’est au juste la cruauté ?

  • Comme ça non, je ne le sais pas.

  • La cruauté c’est d’extirper par le sang et jusqu’au sang dieu, le hasard bestial de l’animalité inconsciente humaine, partout où on peut le rencontrer



Quand Artaud critique le théâtre occidental, c’est la cruauté de la culture qui est visée. Ainsi il s’agit d’opposer une cruauté à une autre, faire passer la culture dans ce qu’elle a tenté de recouvrir, et cela a travers la figure de dieu, ici perçu comme étant un principe déterminant l’homme. Ces poèmes dits d’un ton quasi-inhumain, renvoi l’organisation de la vie capitaliste, planifiée pour les guerres, sa production synthétique à un délire mortifère à qui il oppose "le peuple qui mange à même la terre le délire d’où il est né, je parle des Tarahumaras mangeant le Peyotl à même le sol pendant qu’il naît, et qui tue le soleil pour installer le royaume de la nuit noire" (Les Tarahumaras sont une ethnie indienne chez lesquels est venu Artaud, notamment pour se dégager de la pensée occidentale, et pour effectuer le rite du peyotl, toujours dans le même but). Renvoi aussi la conception d’un monde à sa finitude : "Cela vient de ce que l’homme, un beau jour, a arrêté l’idée du monde. Deux route s’offraient a lui : celle de l’infini dehors, celle de l’infime dedans. Et il a choisi l’infime dedans. Là où il n’y a qu’à presser le rat, la langue, l’anus ou le gland. Et dieu, dieu lui-même a pressé le mouvement."


Ainsi dans toute sa haine d’un principe transcendant, d’un dieu qui fixerait la vie dans des possibilités limités, Antonin Artaud place en point d’orgue le corps sans organe, corps constamment inorganisé, empêchant toute définition de remplacer sa singularité (On serait tenté d’en dire autant de ces poèmes). Pour en finir avec le jugement de dieu est une entreprise de déconstruction, un agencement qui permettrait tout les autres, un ordre fulminant.


(Ici, un lien pour l'émission : https://www.youtube.com/watch?v=EXy7lsGNZ5A )

Heliogabale
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le 21 juin 2014

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