Pour mourir, le monde (quel titre ! emprunté à un poète portugais contemporain de l’action du roman) est un immense roman d’aventures historique, prenant pour cadre un XVIIème siècle spectaculaire, avec ses combats pour la conquête des mers et des colonies lointaines, et ses affrontements épiques entre les empires portugais, espagnols, hollandais et britanniques. Au milieu de ce chaos savamment orchestré, les trois personnages principaux, Marie, Diogo et Fernando, dégagent trois arcs narratifs majeurs sur lesquels viennent se greffer d’autres personnages et d’autres problématiques, qui rendent le livre riche et foisonnant.

C’est une évidence confinant au cliché que de reconnaître la solidité des recherches de Yan Lespoux pour composer l’arrière-plan historique de son premier roman. C’est autre chose d’affirmer qu’une énorme documentation n’est rien sans un grand talent littéraire pour la mettre en valeur et la rendre digeste.

Par leur diversité et leur maîtrise impressionnante, les nouvelles de Lespoux regroupées dans son premier livre, Presqu'îles, signalaient déjà que le garçon possédait l’art de l’écriture et de la mise en scène. Dans Pour mourir, le monde, il s’engouffre dans la démesure de ses décors, de ses enjeux, de ses personnages, pour faire battre au vent la puissance et la variété de son style, épiçant le tout d’un humour bien senti, d’une luxuriance dans les descriptions, et d’une volonté de réalisme (la réalité de la vie à bord d’un navire ou de la violence d’un affrontement naval est rendue avec un faste de détails nous propulsant au cœur de l’action) qui n’étouffent jamais la richesse des sentiments et la complexité humaine à l’œuvre.

Pour le dire autrement, et plus clairement, ce que fait Yan Lespoux ici, c’est oser le roman d’aventures dans toute sa splendeur. Oser aussi le roman narratif, le roman de personnages et d’histoire(s) – un geste qui, dans le paysage introspectif de notre littérature française, paraît toujours bizarrement anachronique, à mi-chemin entre l’audace absolue et la facilité un peu vulgaire. (Non mais franchement, raconter des histoires, quelle drôle d’idée !) Pour en trouver, généralement, il faut franchir la frontière menant à la littérature jeunesse, où flamboient des écrivains, Timothée de Fombelle et Pascale Quiviger en tête, à qui la virtuosité romanesque ne fait pas peur.

Fort heureusement, le Goncourt 2023 remis à Jean-Baptiste Andréa (quels que soient les motifs de ce choix), pour une œuvre de la même belle eau tumultueuse, et le splendide succès du récit historique maritime de David Grann, Les naufragés du Wager, ont rappelé au plus grand nombre que cette veine-là était aussi de la grande littérature, et pas la plus aisée à réussir.

Merci donc et bravo à Yan Lespoux, pour son exigence, pour sa liberté, pour l’enthousiasme évident avec laquelle il a élaboré cette histoire éblouissante, en digne héritier d’un Arturo Perez-Reverte par exemple. Un enthousiasme qui se transforme en gourmandise de lecture, à laquelle je vous enjoins de céder sans aucune arrière-pensée.

ElliottSyndrome
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le 3 août 2024

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